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Super Cub – Culture Cub

Vous connaissez Super Cub ? Démarré cette saison, cet animé adapte un light novel de Tone Kouken racontant l’histoire de Koguma, une lycéenne solitaire, trouvant des difficultés à s’insérer dans la société qui s’entoure. Plutôt timide, très peu assurée, elle vit seule dans un appartement un peu simple, et passe son temps libre à végéter, n’ayant ni famille, ni amis, ni passion pour quoi que ce soit. Mais sa vie va être chamboulée quand elle décide de remplacer son vélo par un scooter, et pas n’importe quel scooter: un Super Cub, pas cher car paraît-il maudit… L’arrivée de cette motocyclette dans sa vie va lui permettre de goûter à une nouvelle liberté et, surtout, d’enfin trouver quelque chose à lequel s’attacher.

Après cinq épisodes, la série est très sympathique. Sur un rythme assez lent, elle se déroule dans un monde urbain plutôt terne, très froid, façon ambiance de ville de banlieue sans vraie identité. Mais cela change quand Koguma enfourche son bolide maudit: les couleurs commencent alors à péter dans tous les sens, la musique s’emballe et tout semble devenir d’une beauté inédite. C’est un récit assez simple, mais pas moins joli, sur une fille qui apprend à sortir de sa coquille et parvient enfin à trouver sa place dans ce monde.

Ce que le premier épisode exprime explicitement en se concluant sur une tirade… qui sonne comme un slogan publicitaire.

Du coup comprenez que je sois sorti du premier épisode en me disant « wah c’était un joli spot publicitaire de 20mn. » Car, oui, le « Super Cub » n’est pas quelque chose d’inventé pour l’occasion puisqu’on fait ici bel et bien référence au Honda Super Cub, une mobylette phare de la marque Honda, qui aura connu de très nombreux modèles de 1958 à nos jours. L’héroïne n’est pas satisfaite parce qu’elle a enfin un scooter, non, elle est satisfaite car elle a un Super Cub.

Rajoutez à cela le fait que par beaucoup d’éléments, la série semble parfois tenir le rôle de manuel d’utilisation: on va ainsi la voir apprendre à remplir l’essence de sa moto, apprendre quand il faut en faire la vidange de son moteur, apprendre comment faire la vidange du moteur, comment customiser son Cub avec panier, casque et coffre. Elle va même se faire une amie, Reiko, qui a elle aussi un Cub, customisé à la perfection pour les hautes vitesses et le tout-terrain. En bref, c’est une série qui veut raconter la beauté de voir une jeune fille isolée enfin commencer à prendre goût à la vie… mais c’est aussi un hymne à la gloire d’une moto bien précise, moto qui (ça tombe bien dis donc) a vu être commercialisé de nouveaux modèles il y’a deux années. Et (ça tombe vraiment bien), cet animé va aussi vous apprendre comment utiliser et maintenir cette moto, au cas où vous auriez l’idée incroyable de la posséder !

Le manuel d’utilisation de la moto fait presque littéralement une apparition par épisode.

Maintenant qu’on soit très clair: ce que je fais est finalement plus une constatation qu’un véritable reproche, même si je suis à titre personnel un peu gêné par l’aspect « publicitaire » du récit qui, du coup, perd parfois à mes yeux énormément en sincérité. Je ne sais parfois ainsi pas si l’héroïne prononce des phrases naturelles ou si elle récite des slogans publicitaires. Elle aime sa petite mobylette, ça crève les yeux, mais j’ai du mal à me détacher de cet aspect « apologie » du Cub. Est-ce qu’elle aurait aimée une autre mobylette de la même façon ou elle l’aime encore plus parce que c’est un Super Cub™ ? Et du coup, tout le récit derrière sur le passage à l’âge adulte demande un effort un peu supplémentaire pour qu’il soit assimilé parce que, au final, y’a toute cette enveloppe « sponsorisée » qui vient corrompre le message. Genre on en retient que grâce au Honda Super Cub, la vie de notre personnage va changer pour le meilleur.

Maintenant on pourrait aussi me rétorquer, à raison, que je passe à côté d’un aspect important: au Japon, et plus largement dans l’ensemble de l’Asie Pacifique, le Super Cub n’est pas qu’une mobylette, c’est une institution. Qui n’a certainement pas besoin de publicité.

En effet, dès son introduction en 1958, le Cub est devenu très vite le véhicule le plus vendu de l’histoire. Pas cher, fiable, facile d’utilisation, c’était le véhicule de référence dans un Japon d’après-guerre à la recherche de moyens faciles et peu onéreux pour se déplacer. Le succès japonais a vite été suivi de succès dans toute l’Asie de l’Est, où les motos et mobylettes font la loi dans des espaces urbains qui ne sont pas favorables aux (rares) conducteurs de voiture. Il paraîtrait même qu’au Vietnam on dise « Honda » pour désigner les motos, tant le Super Cub est en écrasante majorité sur le marché. On estime aujourd’hui à près de 100 millions le nombre d’exemplaires produits et vendus en soixante ans.

Quelque part, si Super Cub s’était passé en France, par exemple, l’héroïne serait sans doute en train de conduire une 2 Chevaux, qui est peut-être le véhicule français avec l’impact culturel le plus comparable. Imaginez du coup un roman nommé Super Deudeuche, ça sonne plutôt bizarre mais eh pourquoi pas.

Donc est-ce que quelque part Honda a vraiment « besoin » de vendre le Cub ? Peut-être pas. Et peut-être que Super Cub veut juste très simplement rendre hommage à un véhicule qui a marqué le quotidien de millions de vies et à un fleuron de l’industrie moto du Japon qui fait « partie du décor. » Mais bon, ça reste un véhicule toujours produit à l’heure actuelle, avec de nouveaux modèles régulièrement crées et, bon, Honda serait pas contre essayer de séduire un public large de nouveaux acheteurs potentiels. Donc pourquoi pas via une œuvre de fiction essayer de retracer la longue et belle histoire du Cub, histoire d’asseoir le prestige du modèle et, surtout, de son nom ?

Par exemple dans l’épisode 5 le personnage de Rinko, qui est une passionnée de moto et fine mécanicienne, essaie de remplir un objectif personnel assez fou qui est de monter le Fuji avec son Super Cub. L’épisode est plutôt joli, y’a tout un message sympa sur l’idée de suivre ses rêves et ses objectifs, mais l’animé vient nous balancer à la fin de l’épisode que le saviez-vous, tous les gens ont déjà montés le Fuji en moto l’ont fait uniquement soit avec des Cub soit avec des modèles Honda comme le Monkey ? En gros que, quelque part, seul une moto Honda est assez forte pour dompter le Fuji ? Bravo, impressionnant effectivement, surtout quand tout l’épisode était fait pour vraiment emphaser le fait que l’escalade du Fuji en moto c’est très très dur.

Donc voilà, quelque part c’est une série qui a des belles scènes, qui semble vraiment dire quelque chose sur la solitude et l’ouverture aux autres, qui trouve le ton juste pour parler de la vie dans des banlieues moches et fades, qui incite au voyage et à la réalisation d’objectifs pour se dépasser. Mais de l’autre, on sait jamais si on profite d’une histoire ou si c’est juste un ensemble de slogans à la gloire du véhicule le plus vendu de la planète.

Mais bon, meilleur sourire triste de la décennie

Maintenant, c’est quand même intéressant de creuser le lien parfois tenu entre animation et publicité. Surtout quand la publicité semble de plus en plus devenir un acteur important de l’industrie. Prenez par exemple, le clip « Baby I Love You Daze ».

Sorti fin 2018, ce clip basé sur la chanson Shinsekai du groupe BUMP OF CHICKEN mettait surtout en avant toute la gamme de produits d’un des principaux chocolatiers du Japon, en l’occurence Lotte. Clip sublime, ce qui est tout à fait normal quand on remarque qu’il est dirigé par madame Rie Matsumoto, réalisatrice extrêmement talentueuse qui a travaillé sur Heartcatch Precure, Kyousougiga ou Blood Blockade Battlefront. Comme souvent avec elle, on a donc une débauche de couleurs vives dans des univers urbains et sublimés, où la direction artistique et l’animation viennent nous remplir les yeux d’étoiles. Mais ici, c’est aussi pour nous vendre plein de chocolats divers et variés, et nous filer une envie de sucre difficile à éviter.

Un exercice qui fut couronné de succès: le clip fut un succès immédiat, accumulant des dizaines de millions de vues. L’exercice fut du coup renouvelé sans aucun souci par Lotte qui, en 2020, s’alliera avec le chanteur Eve pour proposer le clip « Kokoro Youhou » qui, là aussi, accumulera design fabuleux et sakugas de qualité pour nous donner l’envie d’offrir des chocolats Lotte roses pour la Saint-Valentin.

Mais évidemment tout ça, en particulier, ne date pas d’aujourd’hui, loin de là ! Par exemple, un de mes courts-métrages favoris d’animation japonaise est Dareka no Manazashi, une très courte histoire de six minutes qui revient sur la vie d’un animal de compagnie au sein d’une famille. A la fin je chiale 100% du temps et c’est un peu normal vu que c’est un court-métrage réalisé par Makoto Shinkai ! Mais c’est aussi un court-métrage commandé pour une exposition immobilière organisée par la holding financière Nomura Holdings. Après, citer Makoto Shinkai c’est un peu tricher parce qu’il a dirigé en tout une demie-dizaine de publicités, que ce soit pour l’aéroport international du Vietnam, les nouvelles lignes de train de la Taisei Corporation ou bien la fameuse publicité « Cross Road » pour la société Z-Kai qui n’a rien a voir avec Dragon Ball Z Kai puisque manifestement spécialisé dans l’enseignement privé.

Et plus largement, que des studios et des talents réalisent des publicités est plutôt répandu: Ghibli a également produit récemment des publicités pour la marque Lawson et ce n’est pas leur première fois puisque en 1992, Hayao Miyazaki lui-même dirigeait des petites publicités animées pour… je sais pas trop quoi ? La publicité fait partie du business d’un studio et ces clips animés récents, qui semblent faire de plus en plus appel à d’énormes talents du milieu, n’en sont finalement qu’une prolongation logique.

De même que les tendances à rajouter quelques placements de produits ne datent pas d’aujourd’hui, loin de là ! Les fans d’animé de la fin des années 2000 ont ainsi un rapport particulier avec Pizza Hut par exemple…

Quand de toutes les franchises de pizza, ton animé fait un partenariat avec la plus à chier

Et puis quelque part, certains vous diront que rares sont les animés qui ne cherchent pas à vous vendre quelque chose. On a déjà discuté un peu ici de l’importance des comités de production, et fondamentalement un animé existe principalement pour faire des profits sur tout ce qui va l’entourer: CD, DVD, Blu-ray, goodies, manga, light novel, concerts. Super Cub est une « publicité » pour les Super Cub tout comme, quelque part, l’animé de l’Attaque des Titans est là pour servir de « publicité » au manga de base ou aux singles de Linked Horizon. Mais là on se disperse un peu…

… sauf quand on évoque les séries pour enfants du genre Yu-Gi-Oh, Beyblade, Aikatsu ou même Precure. Precure qui met en avant, en permanence, les jouets issus de la franchise qui font ici partie intégrante de l’intrigue et sont évidemment une réplique exacte de ce qui est achetable, juste derrière, dans les rayons.

NON LAURA ARRÊTE DE MONTRER EN PERMANENCE TON SUPER ITEM A TOUT FAIRE QUI EXISTE IRL EN FORME DE JOUET

Mais bon, c’est la logique du transmédia, qui est désormais le maître-mot au sein de l’industrie, et qui s’applique largement à l’intégralité des animés produits, à des échelles forcément différentes en fonction des projets. Un animé aujourd’hui ne peut pas exister « seul », et j’écris « aujourd’hui » avec un léger doute parce que je doute, en toute franchise, qu’il ait déjà existé une période où cela était réellement possible. Les animés de mécha des années 70 existaient pas mal grâce à l’importance du marché du jouet et de la maquette, des grands classiques des années 90 ont été fondés sur des bases transmédia (Evangelion était accompagné d’un manga, Utena ou Serial Experiments Lain de jeux vidéo, mangas et romans), et très tôt dans les années 2000 c’est le milieu de la musique qui a commencé à lâcher pas mal d’argent dans la machine.

A la limite, peut-être que l’industrie de l’OAV – surtout glorieuse à la fin des années 80 – était la moins concernée par cette logique, car l’animé sortait directement en VHS, pas concerné par les requêtes des diffuseurs ou d’éventuels partenaires, et devait donc se vendre sur ses qualités propres mais ça reste une période très courte dans la longue histoire du média.

Donc ouais, tout ça me paraît vraiment différent d’un Super Cub qui est vraiment une œuvre définitivement à la gloire « d’un produit. »

Mais le truc c’est que au final ça reste trouble: Honda n’a pas l’air de sponsoriser « officiellement » l’animé, on sait juste que comme la marque apparaît dans le récit ils ont au moins donnés l’accord pour que la production puisse être lancé et que le modèle puisse être représenté. Le comité de production détaillé de la série n’est pas connu donc on ne sait pas forcément si Honda s’est mis dedans. Ptet que la série est involontairement dans cet état d’esprit parce que l’auteur original est juste un gros fanboy du modèle et de la marque ?

C’est comme Yurucamp 2, que je suspecte fortement avoir été financé par quelques offices du tourisme parce que y’a trop de moments où la série nous présente des lieux précis avec des petits speechs très enthousiastes, qui prenaient pas forcément autant de place et autant de temps dans la première saison. Tout le road-trip de fin de saison dans la péninsule donne l’impression de voir un prospectus des meilleurs coin de la région défiler devant mes yeux. Dans la même franchise, la série courte Heyacamp faisait la glorification des stamps rallys organisés pour de vrai autour du Fuji. Ca ne brise pas forcément le plaisir à regarder ces séries mais dans ces cas là j’ai aucune preuve que y’ait eu sponsoriat ou partenariat. C’est très gris. Et qui dit gris dit doute. Et qui dit doute dit… euh… perte de confiance je sais pas où je vais là ?

Après si l’argent des offices du tourisme permet des décors cool, moi je suis ok

Donc voilà un peu pour cet article du jour, qui part sur une réflexion que m’a inspiré mon visionnage de Super Cub. Je trouve du coup que même si l’animation japonaise n’est pas encore aussi « remplie » de placements de produits par rapport à d’autres industries du divertissement (cf. le cinéma d’action hollywoodien), elle a un petit rapport gris avec ce même placement de produit. C’est souvent plus insidieux, moins assumé. Mais quelque part, le fait que voir Super Cub aller aussi loin dans son apogée d’un produit m’agace un peu témoigne du fait que cela n’arrive pas si souvent que ça. Que c’est suffisamment rare pour que je le remarque, pour que ça me fasse ticquer.

La série reste sympa malgré ça, donc pas de panique, c’est pas un article à charge qui est là pour flinguer Super Cub, qui a suffisamment de qualités à son arc pour ne pas louper sa cible. Mais, encore une fois, ça me laisse un sentiment étrange.

…. Bon puis après je repense à cette séquence super bizarre de 3 minutes dans Les Enfants du Temps où Makoto Shinkai donne 100% de ses compétences à rendre un McDonald’s super sexy et je me dis que peut-être que le ver est déjà dans le fruit. Je veux dire, j’ai pas mangé McDo depuis le début du second confinement et cette image me redonne du coup une envie perdue en six mois, MERCI BEAUCOUP MAKOTO SHINKAI.

Post-scriptum: Pauvre héroïne qui se fait tellement chier dans sa vie que le soir avant de dormir, elle lit un manuel d’utilisation de moto T_T.

« MMM lecture sympa mais c’était moins bien écrit que le manuel de ma machine à laver. »

Post-scriptum 2: Peu de temps après la rédaction de l’article, Nock m’a rappelé l’existence de One-Off, une série de 4 OAV sortis en 2012, dirigés par MONSIEUR Junichi Sato (réalisateur de Sailor Moon, Aria, Princess Tutu, Doremi, Hugtto Precure) et qui voyait déjà 4 héroïnes parcourir le Japon sur leur motocyclette Honda Giorno, motocylclette qui était mise très en avant. Comme quoi, y’a peut-être un pattern à étudier.

(Et du coup je me suis rappelé de Bakuon, le manga/animé sur la moto, mais comme lui est plus généraliste et passe la moitié de son temps à se foutre de la gueule des motos Ducati, je vais rien dire.)

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3 commentaires

  • Erebos

    L’équivalent français, ça serait plutôt le Solex ou la Mobylette (tellement populaire que c’est devenu un nom commun).
    En tout cas j’aime beaucoup cet anime très comptemplatif aux décors photoréalistes.

    • Amo

      J’avoue que j’avais un peu zappé la Solex, j’étais tellement fier d’avoir trouvé « Super Deudeuche » que je suis pas allé plus loin dans la réflexion.

  • Pierre C

    Du plus loin que je peux me souvenir, l’exemple le plus ancien de publicité insérée dans un anime est dans Tetsujin 28 Go, la série de 1963, où l’opening commence par un « ♪ GLICO, GLICO, GUUUUUURIIIIIIIKOOOOOOO ♫ » faisant évidemment référence à la marque de confiserie.
    https://www.youtube.com/watch?v=c2zYuQqzEJQ

    Après je ne serais pas étonné qu’on retrouve des traces de publicité dans l’animation japonaise des origines. Momotaro le divin soldat de la mer, le premier film d’animation japonais, est un film de propagande. Est-ce que du coup ça n’en fait pas déjà une publicité :’D ?

    En tout cas, très chouette article !

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