Mangas & Animes

Kimi wa Midara na Boku no Joō – Bouquet de nerfs

Je déteste Lynn Okamoto.

Enfin, je le déteste pas personnellement. J’ai détesté Elfen Lied, détesté Nonono 1 et, du coup, je déteste ne serait-ce que l’idée de lire un jour Brynhildr. C’est un auteur dont je n’aime pas le style, dont je hais le simplisme de ses personnages et de ses situations, qui ne fait jamais preuve de subtilité ce qui, du coup, me donne l’impression d’être pris pour un débile. Et le pire ? C’est que y’a souvent des bonnes idées ou des trucs cools dans ses œuvres. Je peux même pas totalement le détester. 

Alors du coup que se passe t-il quand je lis un manga au pif, kiffe pas mal après quatre chapitres, puis découvre que c’est écrit par Lynn Okamoto ? Je ne sais pas, c’est un sentiment indescriptible, partagé entre la frustration, la déception et la bonne surprise, semblable à celui que j’ai ressenti en 2006 quand je voulais que la France se fasse claquer au premier tour de la coupe du monde pour faire chier mon frère et que finalement non la France est allée jusqu’en finale et que woowoow je suis monté dans le train de la hype et je m’ai oublié mes principes et mes préjugés pour profiter du moment.

Bref, comme le but de Ribery contre l’Espagne, ce manga est rapide, concret, efficace, sexy, le fruit d’une belle collaboration et la preuve que même un mec pas toujours connu pour sa grande finesse peut faire quelque chose susceptible de faire vibrer les sentiments primaires de même les plus intellectuels d’entre nous.  Voyons ça ensemble dans ce 1001e billet de Néant Vert qui est dédié, du coup, à Kimi wa Midara na Boku no Joō. Le titre peut vaguement se traduire en « Vous êtes Indécente, ma reine », et c’est pas un titre usurpé, comme on va le voir.

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Kimi wa Midara na Boku no Joō (que je vais réduire à Kimidara si vous le voulez bien) est donc un manga débuté en 2012 dans le Weekly Young Jump, avec pour auteur Lynn Okamoto et pour dessinatrice Mengo Yokoyari. L’intrigue est simple: Subaru et Saito sont deux enfants inséparables, malgré leurs très différentes origines sociales. Ainsi Subaru est originaire d’une très très grande famille, extrêmement riche depuis plusieurs générations, qui a l’air de contrôler certains bails au Japon tandis que Saito, bon, c’est un gosse de prolo. Bref, malgré la guerre des classes, ces deux enfants se kiffent bien, se taquinent, s’amusent, c’est la belle vie.

Sauf que.

SAUF QUE.

Subaru doit partir direction un établissement scolaire et internat ultra côté, où le droit d’entrée est une somme ahurissante, impossible d’accès pour le quidam moyen. Sauf que Saito, bah, ouais, c’est le quidam moyen, du coup il est niqué et il doit voir son amour d’enfance partir loin de lui. Mais c’est sans compter sur ses ressources et quand un droit d’accès à cette école via une bourse et des résultats exemplaires apparaît, il sait saisir cette chance, étudie sans compter, et parvient, six ans après le départ de son amie, à rejoindre en tant que lycéen cette école. Là bas il se rend compte que Subaru a bien changée: moins garçon manquée qu’avant, elle est devenue l’idole de cet établissement prestigieux, n’est jamais descendue de la première place du classement depuis son arrivée et, hélàs pour notre héros, ne semble accorder la moindre importance à lui, comme si elle avait tout simplement oubliée son passé.  Déprimé as fuck, Saito décide de partir chouiner dans sa chambre d’internat et se met à rêver d’une porte qui lui permettrait d’accéder directement à la chambre de son aimée…

C’est là qu’une porte permettant d’accéder directement à la chambre de son aimée apparaît à la place de la porte de son placard, que son aimée en sort vétue d’une serviette de douche, qu’un dieu en forme de polochon explique qu’un accord a été passé et que leur voeu mutuel a été écouté. Et Subaru a beau nier les faits, elle a elle-même fait ce voeu, au point d’être considérée comme la « contractante » par ce dieu qui va, donc, exiger d’elle un paiement. Et ce paiement il est simple: une fois par jour il va retirer à Subaru son sang-froid, sa maîtrise de soi. Et du coup, pendant cette heure, celle-ci n’aura plus aucune barrière morale. Ce qui va d’abord être vaguement mignon – elle va enfin avouer à Saito tous les sentiments qu’elle a envers lui et qu’elle réprimait pour conserver son image et par peur d’être rejetée – mais va vite poser des problèmes quand il va découvrir que Subaru, en fait, elle est méga portée sur le cul. Et pas n’importe quel cul: celui du héros, si possible.

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Voilà donc le twist. Vous vous souvenez du second arc de Kokoro Connect ? Celui où les personnages, par hasard, pouvaient perdre leurs inhibitions et leurs limites n’importe quand ? Bah voilà la version où Inaba ne reprend pas contrôle d’elle-même après s’être débraillée au dessus de la table. Et, oui, Kimidara nous montre tout, où du moins ne nous cache pas grand chose. Si ce n’est pas du hentai et qu’on reste dans un manga classé seinen, peu de place n’est laissé à l’imagination et le fait d’avoir mis au dessin Mengo Yokoyari, une autrice habituée des prods ecchi de petite envergure (avant qu’elle se mettre à bosser sur Kuzu no Honkai Scum’s Wish), contribue à pas mal jouer des limites tenues entre érotisme et pornographie. Car Kimidara ne prend pas son temps et les scènes de sexe – majoritairement des masturbations, qu’elles soient mutuelles ou non – prennent une place importante dans chaque chapitre, une dizaine de pages à chaque fois. 

Et vous savez ce qui marche le mieux avec ces scènes là ? La passion qui s’en dégage. Déjà, même si l’héroïne qui saute sur le héros, celui-ci ne joue pas le lycéen pur, frustré et confus qui sert de clicheton habituel. Il est heureux que la fille qu’il aime lui saute dessus , il est heureux de voir qu’elle est excitée par lui mais il garde quand même une once de maîtrise de lui-même  et va tâcher de ne pas trop « profiter » de l’état second. Il ne le fait pas par puritanisme, il le fait avec un principe simple: si sexe il devait y’avoir avec elle, il veut que ça se passe dans un contexte où celle-ci a conscience de ce qu’elle fait. Bref, pas juste abuser d’elle.

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Du coup non seulement c’est une raison simple et vraiment crédible mais en plus ça monte pas mal la tension dans les scènes chaudes car pour le héros il s’agit de trouver la bonne « alternative » à comment occuper l’héroïne qui, et c’est un point importante, quitte automatiquement son état dès qu’elle jouit. On a donc un truc de cul qui est un peu à contre-courant de beaucoup de choses puisque chaque personnage concerné n’a littéralement qu’une seule chose en tête durant les scènes chaudes: le plaisir de l’autre.

Et dans un sens, c’est assez rafraîchissant. J’aime beaucoup les comédies romantiques, surtout celles dédiés à un public mâle estimé entre 15 et 30, et j’aime encore plus celles qui ont un peu de ecchi et de fanservice à nous proposer. Mais en règle générale, dans les scènes « coquines », il y’a toujours un truc qui me gêne, et qui est pourtant assez logique compte tenu du public visé: c’est que les scènes coquines c’est toujours le héros qui « profite », d’une façon où d’une autre, au détriment des héroînes qui sont toujours relativement victimes de pas mal de ces situations. Une petite culotte sous la jupe ? C’est souvent à cause du vent fripon qui va mettre une héroïne dans une gène pas possible. Le héros voit une fille qui sort de la douche, vêtue d’une simple serviette ? Oups accident, gêne pour l’héroïne ! Et même quand une fille veut prendre un peu l’ascendant, elle va souvent se faire refuser par le héros car c’est lui l’homme à la barre, c’est lui qui décide de quand se fera quoi. Il ne faudra pas voir à le gêner, lui. C’est logique, après tout, c’est des romcom pour garçons où, donc, les envies des garçons sont mises en avant. Mais moi, à titre personnel, j’adore vraiment quand un personnage féminin à l’opportunité d’inverser les rôles et de pouvoir, elle, enfin profiter. Pensez à Momo de To Love Darkness, par exemple. 

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Bref, en montrant deux jeunes adultes qui le font régulièrement, qui n’en tirent pas forcément de hontes trop profondes, et qui sont tous deux centrés sur l’autre, Kimidara est assez frais et assez efficace dans ses scènes sexuelles, une qualité appréciable pour un manga érotique dont on attend, justement, qu’il soit un minimum érotique. 

Et en plus d’être sexy, Kimidara est drôle. Pour même être plus clair, les bonnes répliques fusent. C’est rarement d’une grande subtilité mais ça a atteint certains pics tellement audacieux que ça fonctionne instantanément. Voir l’héroïne partir dans une grande élucubration sur le fait qu’elle ne peut plus se masturber parce qu’elle pleure trop et que les pleurs ont épuisés tous ses fluides c’est aussi absurde qu’efficace. L’absence de contrôle de Subaru lui permet finalement autant de montrer des scènes chaudes que de lui faire dire les pires atrocités, qui sont souvent assez funs. N’importe quelle scène un peu dramatique et sérieuse peut partir en couilles à la moindre phrase. 

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La contrepartie c’est que du coup on ne prend jamais vraiment l’intrigue très au sérieux. Les seuls passages avec des vrais enjeux (la rencontre avec père de Subaru, par exemple) sont rapidement désamorcés par des blagues et jamais la thématique de la perte du contrôle de soi ne va déboucher sur des scènes tragiques ou profondes. Le concept de base est donc cantonné à sa partie drôle et sexy, en somme à ce qu’on attend de lui. 

Ca peut aussi s’expliquer par un fait intéressant: la publication de Kimidara est un putain de casse-tête.

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La série a donc débutée en 2012 dans le Weekly Young Jump. Le Weekly Young Jump c’est le principal magazine seinen de la Sheuisha, qui porte en lui des titres phares tels que Terra FormarsGolden Kamui, Tokyo Ghoul, Tough, Gantz ou Liar Game. C’est un magazine qui n’a jamais eu peur de verser dans le manga érotique: on trouve déjà dans ses pages le très libidineux Love Instruction (ou un héros doit apprendre à baiser comme dans le Dit du Genji) et c’est là dedans qu’a été publié B Gata H Kei  (où une héroïne veut coucher avec 100 lycéens, histoire de), Boku Girl (un mec devient une fille et termine dans plein de situations super gênantes), Okusama wa Joshikousei (« ma femme est une lycéenne ») ou Hetakoi (« héros-harem-blablabla »), bref une tripotée de titres ecchi qui sont souvent placés entre des titres un peu gores: Kimidara a sa place. 

La série a d’autant plus sa place que c’est un magazine cher à Lynn Okamoto puisque toutes ses oeuvres y ont été publiées. Que ça soit Elfen Lied, Nonono ou Brynhildr, c’est du made in Young Jump. Il est donc un peu un des tauliers de cette maison, et semble y disposer de plus de libertés que d’autres auteurs. Ce qui explique donc aisément que quand débarque Kimidara dans le magazine, bah c’est loin d’être la seule série dont il est alors l’auteur: Brynhildr avait commencé sa publication six mois plus tôt ! Facile pour lui de faire double-service, dans ce cas, puisqu’il n’est qu’écrivain sur Kimidara mais ça explique aussi que la série érotique ne débute pas comme une série classique hebdomadaire… mais comme une série mensuelle. Et une série courte, prévue pour durer cinq chapitres, ni plus ni moins ! Avec 40 pages seulement à chaque chapitre !

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Dont au moins 10 pages d’onanisme !

C’est pour cela que, finalement, Kimidara ne s’amuse pas à développer trop son concept et se concentre majoritairement sur le développement de la relation entre les deux personnages, ce qui passe par le cul et l’humour. Les rebondissements sont simples, sont réglés assez vite, bref la narration va très vite et sait prendre son temps. A la fin du chapitre 5, tout est terminé, tout est conclu, les obstacles sont derrière nos héros, s’en sortent-ils bien ou mal ? Surprise. En l’état, ça fait donc une série courte sympa car conçue comme telle, où on a de manière simple et concrète ce qu’on est venu chercher. Tout va bien alors.

Peu après sont publiés deux chapitres « bonus », tous les deux un peu couillons, dans le Miracle Jump, le spin-off numérique du Weekly Young Jump, ça monte pas haut, ça se concentre surtout sur les aspects drôles et sexy de la série, ça rajoute quelques détails et hop, comme le monde est bien fait, on a de quoi faire un vrai volume. Le volume one-shot de Kimi wa Midara na Boku no Joō sort donc en avril 2013, la couverture est jolie et, oh, ce tome va se vendre à 170 000 putain d’exemplaires en 6 mois.

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170 000 foutus exemplaires. J’étais tellement circonspect que je suis allé chercher sur l’internet japonais des confirmations sur ces chiffres, et j’en ai trouvé pas mal. A titre de comparaison, c’est  comparable au nombre de tomes de Platinum End vendus au Japon en février dernier. Bref c’est un chiffre honorable, encore plus quand ça vient d’un one-shot qui était publié de manière irrégulière dans le Young Jump ! Et c’est pas vraiment un boost grâce au nom de Lynn Okamoto: un tome de Brynhildr in the Darkness, c’est autour de 30 000 ventes au Japon. Je ne retrouve pas de chiffres de ventes pour Elfen Lied et c’est dommage car je suis en train de me demander sérieusement si c’est pas le plus gros succès de Okamoto, purement et simplement.

Du coup ce succès il n’est évidemment pas passé inaperçu aux yeux de la Shueisha qui compte bien ~exploiter le filon.~ Si ce « tome-1-qui-n’en-est-pas-encore-un-mais-qui-va-bien-le-devenir » se vend déjà à 170 000 exemplaires, quel potentiel plus tard pour la série ? Est-ce que ça ne peut aller qu’en grandissant ? On va voir.

Et du coup, Kimidara est annoncé en novembre 2013 par la Shueisha comme rejoignant définitivement le line-up du Weekly Young Jump. Avec néanmoins un petit avertissement: le rythme restera « irrégulier. » Irrégulier, le temps que Okamoto termine Brynhildr, peut-être ?

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Dans tous les cas, ils ne se sont pas trompés en prévenant que ça allait être sacrément irrégulier: depuis novembre 2013, il y’a 3 ans, ont été publiés exactement… trois chapitres.  Trois chapitres. Un en novembre 2013, un en janvier 2014 et un durant l’été 2015. La dessinatrice, Mengo Yokoyari, est bien occupée sur Scum’s Wish, qui cartonne pas mal au sein du Monthly Big Gangan, magazine de l’éditeur rival Square Enix et empêchant pour l’instant que Kimidara devienne une vraie série régulière. Et c’est du coup étrange que malgré le fait  que la dessinatrice soit déjà bien occupée avec sa série, les mecs de la Shueisha ont décidés qu’une nouvelle intrigue allait débuter ! Nos héros retrouvent le dieu de la maîtrise de soi et ils doivent apprendre à arrêter de baiser sans relâchement ! Ils doivent donc remplir tout un sablier en se retenant un minimum de se lâcher à leurs pulsions ! Si jamais ils font du le sexe sans se contrôler, le pénis du héros explose ! OK !

C’est du coup… très différent. Et même, pour ainsi dire, un peu moins intéressant. Pour l’occasion, certains des clichés un peu débiles des romcom font leurs apparitions, comme par exemple la petite soeur qui vient squatter l’appart des héros et a qui on doit cacher la vérité, ce genre de truc un peu con. On continue à trouver des répliques assez bien trouvées, les héros arrivent à trouver le moyen de se faire du bien sans faire exploser des parties génitales, y’a une idée qui est tentée d’être mise en place mais, étrangement, on se questionne sur le bien fondé de continuer après la fin de la série de base, surtout pour s’engager dans un rythme aussi étrange d’un chapitre par an, ce qui ferait rêver pas mal Kentaro Miura ou Yoshihiro Togashi.

Enfin, bref, Brynhildr in the Darkness s’est terminé en mars dernier, laissant Lynn Okamoto libre de toutes séries à gérer et Kuzu no Honkai se terminera sans doute début 2017 pour Yokoyari. Ils vont du coup prendre quelques vacances méritées mais est-ce que maintenant, on peut envisager que la série reprendra un de ces quatre mais, cette fois-ci, comme une vraie série ? Mystères et boules de lol.

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Bref, tout cet aspect méta dans l’histoire de la série est presque aussi intéressante que la série elle-même qui est, finalement, juste une comédie romantique et érotique assez plaisante, qui réussit ses objectifs et apporte quelques trucs appréciables. C’est totalement mon kif mais comme d’hab avec l’érotisme japonaise, faut avoir un esprit étrangement ouvert. En attendant, contentez vous des sept premiers chapitres, qui concentrent le contenu du volume one-shot initial, et n’entamez le chapitre 8 que si vous vous sentez prêt à aborder une histoire qui n’aura jamais de fin. Mais allez, si on garde un peu son sang-froid, on y arrivera. 

  1. Le manga de saut à ski très sympa quand ça parle de saut à ski, carrément imbuvable dès qu’on sort des pistes
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