Mangas & Animes

Dans le Château de Cagliostro, il y’a des putains de héros

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Bon, j’assume plutôt bien la plupart de mes opinions, car ça serait autrement un peu hypocrite mais pourtant, encore aujourd’hui, y’a toujours une opinion que j’ai du mal à assumer et que je vis un peu comme une grande frustration: je n’aime pas Porco Rosso. Je l’ai vu à deux reprises: la première fois je me suis tellement ennuyé que j’ai coupé le DVD au milieu, je suis allé me coucher et je me suis forcé le lendemain soir à mater la fin. Deux ans plus tard je l’ai revisionné en espérant que la première fois était une erreur, que j’étais de pas bon poil ou trop mélancolique je ne sais quoi et non, rebelotte. J’ai au moins vu le film en entier mais il m’a paru étrangement long.

C’est le seul film de Miyazaki que je n’aime pas. Je suis comme tout le monde un admirateur du travail de ce réalisateur et je n’oublierais JAMAIS ce dimanche de juin 2002, où après avoir passé la matinée à regarder du football, je suis allé au cinéma voir le voyage de Chihiro, et où je n’oublierais jamais la semaine que j’ai passée ensuite à revisionner le film dans ma tête, à chérir chaque souvenir, à en exiger une suite, deux heures de plus, ce genre de choses-là. Et tous les films de Miyazaki, je les ai dévorés, je les ai aimés et appréciés, quand ce n’était pas de l’amour pur et simple, que l’héroïne du film s’appelle Nausicaa, Ponyo, Sophie ou Sheeta. J’ai mis du temps à voir Mononoke et Mon voisin Totoro – j’ai attendu jusqu’a l’année dernière pour ça – car je restais un peu effrayé par ma réaction à Porco Rosso, qui était la première fois qu’une oeuvre de Miyazaki me décevait, je savais que c’était subjectif, je savais que ça venait de moi, mais j’avais peur d’être deçu considérablement par deux oeuvres – Totoro et Mononoke – qui avaient, tout de même, un pedigree, une réputation. C’est Arte qui, en quelque sorte, m’a forcé la main et, oui, je ne regrette pas d’avoir affronté cette peur de la déception car ces deux films m’ont alors montrés que je flippais pour rien et que je pouvais avoir confiance en Hayao.

Et très vite je me suis rendu compte de quelque chose d’assez frappant: mis à part, justement, Porco Rosso, je ne choisissais jamais quand je voyais un Miyazaki. Tous les films je les ai vus soit de leur ressortie au cinéma – dans cette période magnifique où on avait quasiment un Miyazaki par an au cinéma, le distributeur puisant dans ses réserves -, dans une salle sombre et accueillante, où je n’avais d’yeux et de concentration que pour ce film, soit – pour les deux derniers – quand ils sont passés sur Arte. Porco Rosso, c’est le seul où j’ai acheté le DVD, et je l’ai regardé un peu « pour occuper ma soirée. » Je n’étais pas concentré, peut-être pas « préparé », il n’y avait pas cette aura en me levant le matin « aujourd’hui, tu vas voir du Ghibli. »

Et puis du coup il restait ce dernier film. Le « fameux » premier film de Miyazaki. Celui qui n’était toujours pas passé au cinéma et celui, je l’avoue, que j’aurais peut-être oublié si Kaze n’avait pas cet été ressorti une édition. Pourquoi l’aurais-je oublié ? Ok, de base j’avais des préjugés, le plus important était le fait que ce Château de Cagliostro était un film à licence. Attention, ce n’était pas un préjugé sur la qualité ! C’était surtout une autre peur, celle de voir un film avec un univers déjà posé, que je ne connais guère et qui du coup serait peu développé, peu présenté, et dans lequel peut-être je me serais perdu.

Mais voilà, DVD dans la main, salle un peu sombre, canapé confortable, télé à écran géant, sous-titres français, voix japonaises. J’ai pas réfléchi des masses en le lançant, je ne m’attendais à rien. A la fin du film, j’avais des étoiles dans les yeux et, ouais, définitivement, le Château de Cagliostro est un excellent film, et un des meilleurs divertissements que l’animation japonaise ait pu me proposer.

Lupin III, j’ai jamais vu le moindre épisode – que la série s’appelle Lupin III ou Edgar de la Cambriole -, le moindre film mais c’est un univers que je me souviens avoir rencontré très tôt, dans quelques magazines de jeu vidéo et je me souviens toujours avoir été séduit par le design général de la série, sans en savoir beaucoup plus. Très récemment, j’étais assez intéressé en apprenant que la saison animée d’automne verrait l’apparition d’une nouvelle série télévisée Lupin III et je me disais que ça aurait pu être la bonne occasion de découvrir cet univers qui avait l’air léger et haut en couleur – exactement le genre de choses dont je suis très friand -, avant d’apprendre que c’était en réalité juste un téléfilm d’annoncé.

En tout cas, une chose est sûre: c’est un univers que le château de Cagliostro donne vraiment envie de découvrir plus en profondeur car il est présenté dans ce film de manière extraordinairement attachante. A commencer par un héros, Lupin III, qui est votre antihéros parfait des années 70 – blagueur, coureur de jupons, voleur, au coeur d’or tout en restant un peu intéressé, qui se sort de toutes les mauvaises situations et qui combat l’impossible. Un personnage « chaotique bon » dans sa fantastique splendeur et qu’on a envie de suivre toujours plus. Surtout que le personnage est accompagné de deux personnages secondaires – ici Goemon et Daisuke. Daisuke, tiens d’ailleurs, est un personnage dont le chara-design me séduisait déjà beaucoup quand je regardais les fameux magazines de jeux-vidéo précités, et qui me semblait être le symbole de la classe totale. C’est vrai que le personnage est classe mais, hélàs, reste un personnage qu’on voit peu, avalé par le reste de l’intrigue. Ce n’est pas dramatique, on sait pertinemment qu’il doit briller dans de nombreuses autres circonstances. Idem pour Goemon qui n’apparaît certes pas beaucoup mais qui vole chaque partie de pellicule dans lequel il apparaît, étincelant toujours d’un charisme qui force une admiration complète. Oh, et il y’a Mine Fujiko aussi, qui, quand on ne connaît pas la série, sort évidemment un peu de nulle part mais qui elle aussi est un de ces personnages féminins forts sur lequel on ne peut décemment pas cracher.

Pendant ce temps, Jerôme Kerviel.

On a de l’autre côté l’antagoniste habituel de Lupin III, l’inspecteur Zenigata qui est un peu le Javert local. Là aussi un personnage très intéressant, principalement dans sa relation avec Lupin: les deux hommes sont rivaux, ennemis jurés, mais n’hésitent pas à allier leurs forces quand la situation l’exige et ça, c’est un peu cool.

Pour le reste, on a un scénario plutôt riche, à basse de fausse monnaie et de petite principauté alpine membre de l’ONU, sur laquelle on rajoute une histoire de trésor et d’intrigues politiques impliquant, entre autres, un mariage forcé, le tout dans une monarchie politiquement divisée. Ce Château de Cagliostro est une vraie aventure comme on en faisait à cette époque, sans arrière-pensée, sans volonté d’aller loin dans la réflexion. Je l’ai dit dans l’intro de l’article, je le répète: le Chateau de Cagliostro est un divertissement, et il n’est que cela, avec le lot de bons sentiments habituels, d’hommages au courage et à l’amour, et au triomphe contre les véritables bandits.

De l’autre côté, on a également des « ajouts » par rapport à l’univers habituel de Lupin III, avec en l’occurrence un lieu « inédit », des personnages crées pour l’occasion, des choses sur laquelle l’équipe de Miyazaki a pu avoir un certain contrôle, et sur ces points là, on peut constater, ici ou là, des éléments qui semblent préfigurer le studio Ghibli, des éléments qui seront plus tard indissociables des oeuvres du très estimable studio japonais: une musique très enivrante, mettant en valeur des décors fins, précis, colorés et forcément sublimes, avec un certain soin apportés aussi bien à la nature qu’aux bâtiments et les personnages féminins y sont forts, y compris, en plus de l’habituelle Fujiko, le personnage « inédit » de Clarisse, la princesse à sauver.

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Et pour une princesse à sauver, dieu que Clarisse s’en sort avec les honneurs ! Le personnage n’est certes pas aussi indépendant que le sera la plupart des personnages de l’avenir Ghibili, mais sait parfois faire preuve d’initiative, sait réfléchir, n’attend pas inactive qu’on vienne la sauver, le seul moment où elle semble faire preuve d’une totale obéissance aux événements, c’est quand elle se fait droguer, quoi. Bref, pour une héroïne c’est du lourd. Encore plus quand elle sert de contrepoids à un méchant très efficace: le comte de Cagliostro.

Alors oui, c’est évidemment un méchant très cliché, très manichéen, qui finit le film puni, et qui ne semble pas avoir la moindre once de remords vis à vis des atrocités qu’il a commise et qu’il continue à commettre. La saloperie parfaite, celle qu’on veut voir déguster ses dents avant la fin du film mais qui reste malgré tout très affable, très… séduisant. Le beau parleur, une sorte de Goldfinger à l’italienne et en beau gosse. Le type qui se sait malin et fort, et qui ne craint rien ni personne, aidé par son larbin et semblant toujours au courant de tout. Ce n’est pas original, on le sait bien, mais qu’importe, le personnage reste efficace, excellent.

A coté de cela, le film est très complet, voit beaucoup d’action se dérouler en 1h40 sans pour jamais autant donner l’impression de se presser, la faute à un timing excellemment géré: les scènes ne sont ni trop courtes, ni trop longues, sont cisaillées avec précisions. Les dialogues sont admirablement bien écrits, ne s’attardant jamais sur des futilités, et quand c’est le cas, alors on peut s’attendre à une phrase drôle. Les scènes d’actions sont palpitantes, parfois extrêmement drôles mais toujours un plaisir à voir (voir Lupin essayer de nager à contre-courant d’une cascade est en même temps très drôle et extrêmement badass), le tout avec une animation qui, si évidemment n’est pas aussi précise que certaines de nos oeuvres contemporaines, reste extrêmement fluide et bien faite. Et aucune scène d’action ne ressemble à une autre, et certaines sont très fortes car nous font oublier, l’espace d’un instant, la relative immortalité de nos héros et la nécessité de laisser, à la fin du film, le status quo comme il était au début, afin de ne pas troubler l’univers…

Héros badass sur un balcon verdoyant

Le film est drôle, il est palpitant, passionnant, la fin est riche en émotions, c’est véritablement une grande œuvre d’aventure, sachant raconter une histoire simple avec soin, talent et application. L’oeuvre n’a pas été baclée une seule seconde et, osons utiliser des expressions clichées, suinte littéralement la passion. Le Chateau de Cagliostro ne doit pas être connue que parce qu’il s’agit de la première œuvre cinématographique de Miyazaki: c’est aussi un film extraordinaire, une perfection de divertissement, la preuve qu’on peut raconter des choses simples et divertissantes sans pour autant demander aux spectateurs de débrancher leurs cerveaux ou de garder leur yeux d’enfants. Bref, un authentique chef d’oeuvre. Qui en plus se permet le luxe de me filer deux désirs: remater tout Miyazaki dans l’ordre chronologique et ensuite découvrir l’univers Lupin III de manière plus large. Merci bien.

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8 commentaires

  • Yomigues

    J’avais moi aussi envie de voir ce film, mais j’hésitais. Non pas qu’à ton instar j’ai été un jour déçu par un film de Miyazaki (et de Ghibli en général), juste que, encore une fois comme toi, je n’ai jamais vu un seul épisode Lupin The Third.

    Mais à lire ta critique, il serait vraisemblablement honteux que je ne le mate pas dans les jours qui viennent.
    Bon article, ça m’a vraiment donné envie de le découvrir !

  • Gemini

    Tout le monde a un Miyazaki (Hayao) qu’il n’aime pas. Tu pourrais presque ériger ça en dogme. C’est souvent le Château Ambulant, pour ma part il s’agit du Voyage de Chihiro. Par contre, Porco Rosso est un de mes favoris, au même titre que Nausicaä de la Vallée du Vent, Princesse Mononoke, et Le Château de Cagliostro.

    J’avais découvert Lupin III par ce film (le second dédié au personnage). Un de mes amis était fan de cet univers et me poussait à le découvrir ; et Le Château de Cagliostro a parfaitement rempli son office, puisque cela m’a poussé à regarder la série et que le lendemain, je séchais les cours pour me consacrer à Lupin III…

    Si tu veux te lancer plus loin dans du Lupin III – personnage des années 60, en réalité – le plus important, c’est de se renseigner avant. Lupin III étant une licence à succès, elle a connu d’innombrables exploitations en séries et en long-métrages, allant du meilleur au vraiment pas terrible. Et la majorité du récent se situe dans la catégorie « vraiment pas terrible ».

    Pour commencer, je ne saurais que trop te conseiller les 52 épisodes diffusés en France sous le titre Edgar Détective Cambrioleur. En réalité, il s’agit de deux saisons de la seconde série Lupin III (qui compte plus de 150 épisodes) mais facilement trouvables dans le commerce et vraiment représentatives de sa qualité ; c’est à partir d’elle que le phénomène s’est lancé au Japon, là où la première série (avec des épisodes réalisés par Takahata et Miyazaki) n’avaient pas provoqué de réel engouement.
    Ensuite, dans les long-métrages, tu as Stolen Lupin et Lupin III VS Détective Conan parmi les récents, et sinon le génial Complot du Clan Fuma (même équipe que Le Château de Cagliostro mais sans Hayao Miyazaki) ou le distrayant Or de Babylone.

  • Kabu

    Vu hier aussi pour la première fois, dans une coïncidence plus que troublante.
    Sauf que contrairement à toi j’avais déjà bien bouffé du Lupin, que ce soit via la série Edgar ou via des films de plus ou moins bonne qualité.
    Du coup perso, je me gardais ça comme une gourmandise, à déguster un jour ou l’autre. J’ai pas été déçu du voyage.

    Les deux trucs qui m’ont le plus troublé c’est déjà « Fujiko est une GROSSE BOURRINE » (sans déconner, elle est blonde, elle y va à la grenade, porte son treillis militaire & co qu’est-ce qui se passe).
    Et ensuite la phrase de Zenigata à Clarisse à la fin qui nous a juste scié Caius et moi. genre WHAT ? ok c’était gratos…

    Sinon vraiment impressionné par le boulot fait sur les décors, en particulier dans la salle des armure ça m’a bien bluffé. On sent l’animation à l’ancienne, les réutilisations de séquences, les harmony cells etc…
    Et ça fait du bien de temps en temps.

  • Gemini

    Kabu >> Ce que tu cites, c’est un peu ce que reprochent à ce film certains fans de Lupin III : certes, chacun – y compris les réalisateurs et les scénaristes – peut avoir une vision différente de la licence, puisque hormis ses personnages rien n’est fixé dans le marbre. Mais pour le coup, cela ne ressemble pas franchement à du Lupin III… Avec le recul, maintenant qu’il a réalisé plus de films, nous nous rendons bien compte qu’il s’agit moins d’un anime Lupin III qu’un anime de Hayao Miyazaki ; il a clairement fait ce que bon lui semblait. En lui-même, le film est bon, mais je peux comprendre les fans qui ne l’apprécient pas.

  • Kabu

    Gemini > Je ne dis pas non plus que je ne l’ai pas apprécié pour autant.
    C’est pas parce que ca m’a un peu troublé que j’ai pas kiffé voir Fujiko tout faire péter. Parce que oui j’ai kiffé.

    Lupin est un univers que je considère assez « souple » pour pouvoir se permettre de faire ce genre de choses sans problème. C’est d’ailleurs un de ses points forts, ce statu quo permanent qui permet des aventures à l’infini.

  • veggie11

    Très jolie critique !

    Moi-même fan du perso, je dois rajouter une chose : qu’on personnalise l’univers de Lupin je n’ai absolument rien contre. C’est d’ailleurs l’une des richesses de la saga. Mais que Miyazaki aille jusqu’à ridiculiser certains personnages principaux, comme Jigen qui est juste bon à jouer le faire-valoir qui se prend tout sur la gueule (et son design est atroce sur la plupart des plans, alors que tous les autres sont bien dessinés), Goemon inutile et Fujiko comme l’a décrit Kabu, là ça fait trop.

    Excellent film techniquement et artistiquement parlant. 0 pointé pour avoir réduit à néant le charisme de deux personnage et l’utilité du troisième.

    D’ailleurs Miyazaki a dit un jour dans une interview qu’il n’aimait pas ces trois là. On comprend mieux…

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