Berserk, arc de l’Âge d’Or – Brothers in Arms
Comme je l’ai signalé ici ou là, ça fait quelques mois que j’ai retrouvé un peu de temps libre, temps libre qui m’a manqué cruellement durant une longue année. Et avant de sacrifier ce temps libre à la gloire de projets ambitieux, j’en profite surtout pour enfin prendre le temps de m’attaquer à des classiques du manga ou des trucs que j’avais sur le feu depuis un bail. Ainsi je me suis enfin lancé dans la grande oeuvre de Takahiko Inoue via son manga Real, qui m’a fait chialé du respect et de l’émotion brute par barils entiers, je me suis aussi enfin essayé à Karakuri Circus qui m’a un poil deçu, je me suis même lancé dans quelques romcoms un peu trashy et très classiques comme Kanojo Okarishimasu, j’ai enfin pu finir Sorademo Boku wa Kimi ga Suki, bref, je me fais plaisir.
Et puis alors que j’avais rattrapé la prépublication de Real et que j’ai donc naturellement mangé mes morts, j’ai eu un flash, une idée, une envie, illuminée en néon dans un paysage forestier sans lune: et si, quitte à être ultra frustré de devoir désormais attendre une période indéfinie pour avoir mon prochain chapitre de Real, je doublais la mise et je m’enchaînais derrière un second manga où quand je vais rattraper la prépublication, je vais morfler ? Excellente idée, non ?
Bon bah du coup je me suis enfin lancé dans Berserk.
Berserk ça fait longtemps que c’est sur mon radar, d’une certaine façon. Une des périodes de ma vie où j’ai bouffé le plus de manga c’était au lycée, quand régulièrement, quand j’avais une ou deux heures de libre et pas de devoir à rendre en urgence au cours qui arrivait derrière j’allais au Carrefour situé juste à coté pour lire un tome ou deux au rayon librairie. En trois ans, je me suis fait comme ça quelques gros trucs: une trentaine de One Piece, pas mal de Bleach, du Air Gear, du Kyo, du Shaman King… Bref les shonens un peu mainstream qui avaient pignons sur rue dans les hypermarchés du milieu des années 2000. Puis y’a eu Ubel Blatt. J’ai ouvert un tome d’Ubel Blatt, j’ai vu de la violence, du sexe, j’avais 15 ans et demi, j’ai fait « wow cool », j’en ai parlé sur Internet, on m’a dit « lol ripoff de Berserk« , mon Carrefour, ça tombe bien, avait des Berserk, mais rarement les premiers tomes, souvent les plus récents, et souvent plastifiés. Et comme je suis un mec qu’on peut qualifier de Lawful Dumb, bah j’ai jamais déplastifié pour lire.
Du coup ado je mourrais d’envie de lire Berserk mais comme j’avais certainement pas l’argent pour m’acheter les trentes tomes et que j’étais trop niais pour chercher des scans sur Internet (très humeur « le manga c’est sur papier que ça se lit, le numérique c’est nul »), bah j’ai toujours mis de côté. J’ai appris plus tard qu’un animé était sorti mais qu’il couvrait qu’une partie spécifique du manga, donc ça me tentait pas.
Fin 2007, je passe une semaine en gîte auvergnats avec des potes de forum, excellent moment où on me fait découvrir Persona, les balades à 3h du matin dans les forêts situées à 20km de Vichy et où je fais mes premiers jeux de rôle, et pour l’un d’entre eux le meneur fait une campagne située au temps des guerres de religions (Te Deum Pour Un Massacre) mais décide de faire jouer à chaque personnage un membre de la Troupe du Faucon de Berserk: l’un joue Guts, l’autre Griffith, le troisième Casca, le quatrième Judeau et, comme je suis le seul joueur à ne pas connaître Berserk, je joue un marchand crée pour l’occasion et, au bout de 20mn, j’insulte Guts parce que j’avais pas encore bien pris conscience de qui était Guts.
Spoiler: ça a failli mal tourner.
Bref, pour la suite je vous la fais courte: je découvre les AMV Hell, les AMV Hell adorent spoiler la fin de l’Âge d’Or, c’est souvent évoqué par des amis en général, bref me voilà en 2018 en mode « je sais même pas si je dois voir Berserk vu qu’au final l’Âge d’Or je le connais sans l’avoir vu. » Mais je me suis ensuite connement rendu compte que, paradoxalement, le reste de Berserk, je le connais pas, et qu’il était peut-être temps de le découvrir, donc voilà quelle était ma principale motivation à lire Berserk en 2018: découvrir l’après-Âge d’Or.
Sauf que, comme le nom de l’article le signale, bah même en pensant tout savoir de l’Âge d’Or, ça reste une CLAQUE. J’ai commencé à le lire en début de journée, fin d’après-midi, j’en étais à l’Eclipse, faisant défiler les pages sans me stopper. Et je me suis rendu compte à quel point, damn, l’Âge d’Or, qu’est-ce que j’y connaissais rien en fait. J’en connaissais les trois ou quatres scènes choc mais j’en ignorais cruellement le contexte. Et inutile de vous dire que quand vous avez la somme de tous les éléments devant les yeux, bah votre esprit il peut que constater la beauté de l’opération.
En somme, cet arc est excellent.
Si vous ne connaissez pas Berserk et que vous voulez avoir une idée de quoi je parle ici, un rapide résumé: quand on démarre Berserk au tout premier chapitre, on découvre donc Guts. Un gros gars gigantesque, drapé de noir, qui erre dans un monde médiéval catastrophique, où les monstres dégueulasses pullulent et où les humains passent leur temps à s’entre-tuer dans une ambiance permanente teintée de sadisme et de violence. Guts il est bougon, peu amical et il a le corps mutilé: on découvre vite que l’un de ses bras est une prothèse en métal, et l’un de ses yeux est en permanence fermé. Et si ça suffisait pas il a dans le dos de sa nuque une trace ensanglantée qui serait liée à une terrible malédiction dont, où qu’il aille, Guts attire les mauvais esprits et le malin. Pas de bol. Heureusement, Guts il est fort mais il a aussi une épée de gros bâtard qui mesure deux fois ma taille, tape fort, tranche vif et lui permet de se donner à coeur joie dans le massacre de toutes les monstruosités qui passent dans le coin.
Et donc au début du manga, on suit Guts errer dans ce monde, faire des choses horribles, dire clairement qu’il s’en fout de la vie humaine, et avoir comme seul compagnon un elfe nommé Puck, petite boule de 30cm qui est un peu comme Navi dans Ocarina of Time sauf que ça serait une Navi qui accompagnerait un Link devenu psychopathe et se sentirait obligé de lui dire tous les trois pas « Eh Link, tu te rends compte de la cruauté de tes actes et la vacuité de ton être ? » Et un jour, Guts et Puck vont débarquer dans une ville gérée par un gars un poil maboul, se rendre compte que le gars est allé très loin dans le jeu de la pactisation avec les démons, ça va raviver de mauvais souvenirs à Guts et en plus une succession d’événements vont lui faire rencontre à nouveau un gars nommé Griffith, on va apprendre que Griffith – devenu Femto, démon supérieur-ou-whatever – était important pour Guts, que maintenant le Guts il veut se venger d’un truc, ça tourne pas super bien, Femto/Griffith se barre avec ses quatre potes maléfico-divins se faire un bœuf, notre héros est mitraillé par la haine et la destruction, et c’est là que BAM, retour en arrière, on démarre l’arc de L’Âge d’Or.
L’Âge d’Or se déroule donc pas mal d’années avant les événements montrés au début du manga, démarre à la fin du troisième tome, se conclut au début du quatorzième tome et va se diviser en trois parties claires:
- Une partie très courte sur l’enfance et l’adolescence de Guts qui va passer de « bébé retrouvé dans une flaque de sang » à « disciple d’un mercenaire aussi brutal que bon entraîneur. »
- L’incorporation de Guts au sein de la Bande du Faucon, dirigée par le fameux Griffith, une armée de mercenaires extrêmement efficace et qui va permettre à Griffith de grimper les échelons au sein du royaume de Midland et, d’homme sans rang, devenir chevalier puis peut-être plus encore grâce à de nombreuses victoires décisives.
- Et puis Guts va partir de la Bande du Faucon, à partir de là Griffith va faire UNE erreur, ça va très très mal tourner, et une succession d’événements vont amener à « l’Eclipse », occasionner la fin définitive de la Bande du Faucon et contribuer au réveil des démons pour expliquer pourquoi on est arrivé dans le monde apocalyptique dans lequel Guts erre au début du manga.
Car je l’ai pas précisé mais autant le tout début de Berserk nous offre à contempler un monde peuplé par d’horribles démons répugnants, le tout début de l’Âge d’Or nous laisse découvrir un monde certes toujours aussi violent et brutal mais où la violence elle est perpétrée… par les humains. Les guerres, les religieux qui pendent à tour de bras, les voleurs sans pitié… Déjà dans l’Âge d’Or l’espérance de vie elle est pas bien haute mais, au moins, on se tue entre nous. La vie humaine n’a que peu de valeur, et on le comprends très vite en voyant le très jeune Guts être vendu pour servir d’esclave sexuel au premier type venu. Donc le doré dans cet Âge d’Or, c’est sans doute du faux puisque si on était vraiment honnête, cette période devrait surtout s’appeler « l’Âge Vaguement Moins Pire. »
Du coup en tant que lecteur, si on est béotien, si on a réussi à esquiver vingt ans de spoilers, on arrive dans l’Âge d’Or avec juste trois certitudes: en premier lieu, Guts va survivre à l’arc et devenir encore plus misanthrope qu’il ne l’est déjà. En deuxième lieu, Griffith va lui aussi survivre et trahir Guts d’une façon ou d’une autre. En troisième lieu, le monde va en sortir pire qu’il l’est. Le reste ? On va le découvrir. On a donc déjà un terrible sentiment tout le long de l’arc: celui de savoir exactement que ça va péter. On ne sait pas quand ni comment. Et déjà qu’on se sent médiocrement confiant sur l’avenir des personnages, c’est empiré par un fait terrible: bah pas mal de choses se passent bien pour les personnages au début. Tous les membres de la Bande du Faucon semblent avoir une sale histoire, un sale passé, mais faire partie de cette bande leur permet souvent de toucher au bonheur, d’avancer vers leurs rêves. Alors, certes, ils doivent se salir pour ça, ils sont habitués à tuer, massacrer, les pertes au sein de la bande sont énormes, les combats rudes, la mort toujours à proximité mais leurs efforts, pendant tout le premier tiers de l’arc, ils paient. Griffith se rapproche de ses ambition, la guerrière Casca peut rester aux côtés de celui qu’elle aime et admire, Guts trouve la famille qu’il n’a jamais eu…
Bref, pendant une vingtaine de chapitres, on a une oeuvre de dark fantasy où tout roule bien pour nos protagonistes, bien aidés par le talent stratégique de Griffith et la brutalité en combat de Guts, véritable tank destructeur qui semble invulnérable, et qui est un homme chanceux au combat, seule chose dans laquelle il paraît briller. Le seul « obstacle » dans leur histoire, c’est la rencontre avec Zod, un démon extrêmement puissant, qui parvient à battre Guts et Griffith mais, surtout, à les effrayer. Si cela n’empêche pas nos protagonistes de quand même parvenir à leurs ambitions, le souvenir de leur combat contre Zodd va commencer à les tourmenter, leur faire douter et y’aura toujours cette peur que, même si tout roule bien, un Zodd pourrait réapparâitre. Zodd, c’est la première intervention du surnaturel dans l’histoire de l’Âge d’Or, ça permet de pas oublier dans quel manga on est, de nous remémorer le début du manga et, on va vite s’en rendre compte, constater que dès que du démoniaque entrera en scène dans cet arc, ça va très mal tourner, 100% du temps.
Est-ce qu’il faut que je dise à quel point la dynamique qu’il y’a entre les membres de la Bande du Faucon elle est super ? On a pas mal de personnages très archétypaux mais suffisamment bien utilisés pour que quand Guts se dise « wah on dirait une vraie famille » bah on soit d’accord avec lui: Griffith le leader mystérieux et charismatique, Casca la guerrière sérieuse et inflexible, Pippin la masse au coeur d’or, Judeau le petit malin débrouillard, Corkus la grande gueule… Ils ont des bonnes relations entre eux, et entre chaque membre. C’est naturel, fluide, jamais ils paraissent « forcés » d’être là, forcés d’être dans l’intrigue, on s’attache à eux – même à Corkus – et du coup on flippe parce qu’on sait que si ils sont pas avec Guts dans le futur, c’est qu’un truc s’est mal passé. Du coup on profite qu’ils soient là avant les adieux qu’on sait inéluctables.
Et au final, même si l’arc dure près d’une dizaine de tomes, ces adieux ils arrivent presque trop vite, en fait dès que Guts respecte la promesse qu’il s’est faite à lui-même de quitter la bande. J’apprécie à quel point l’auteur, Kentaro Miura, a fait le maximum pour que ce départ de la bande, on le comprenne. Comme ça, sur le papier, on pourrait sincèrement se demander pour quelle raison Guts quitterait les seules personnes qui ont été capables de lui amener des sentiments positifs – surtout Casca qui, on le comprend vite, est privilégiée à ses yeux – mais un bon et long travail est fait sur le caractère de Guts. Oui, il fait quelque chose qu’on pourrait étrange mais c’est logique qu’il le fasse. Quitte à briser le coeur de Griffith.
Oh, Griffith.
Si le but du jeu c’était que nous, lecteur, on soit aussi fasciné par Griffith que le sont les membres de sa bande, le travail est réussi. Au milieu d’un cast composé de gens pas très beaux – soyons honnêtes, y’a peu de beauté physique dans le casting de Berserk -, Griffith détonne. Il est beau, il est malin, il est charismatique, il est élégant, il maîtrise le beau verbe et surtout… il est considérablement expressif. Car Guts, à plusieurs reprises, se questionne pas mal sur Griffith, ignore comment un homme peut être si enfantin et si adulte à la fois mais cette pensée, elle est illustrée visuellement par le travail sur les expressions du visage de Griffith, qui sont excessivement variables. Il peut être dur, il peut être condescendant, il peut être effrayant mais il peut aussi avoir la tronche d’un gros gamin, où des tronches comiques qu’on croirait tout droit sorti d’un Doraemon ou d’un Kochikame.
Du coup le personnage, déjà, visuellement, il détonne. Mais en plus son plan on a tellement envie qu’il réussisse ! Dans un monde où les nobles sont jaloux, condescendants, décadents, on a envie qu’un plébéien comme Griffith parvienne à se saisir des mains d’un royaume. Et son plan est si bien huilé, ses manœuvres si élégantes, si intelligentes dans un monde de violence et de brutalité, que non seulement ça ne fonctionne que trop bien, mais qu’il est clairement le plus beau joueur de la partie. Et c’est sans compter cette relation très ambiguë avec Guts, qui fait plaisir à voir, tant depuis le début du manga on était affamé à l’idée de voir Guts enfin être amical envers quelqu’un.
Ces sentiments positifs envers Griffith, on les ressent presque jusqu’au bout, même quand il n’est plus qu’un corps inerte et mutilé. Et pire, pendant toute l’Eclipse, je me suis retrouvé à nier la réalité et à vouloir à tout prix le visualiser, lui aussi, comme une victime, mais même ça Miura sait jouer avec nos attentes et apprends à retourner nos sentiments envers lui via deux actes: tout d’abord un mauvais sourire… et surtout un viol. A partir de là, tout l’amour et le respect qu’on avait envers le personnage s’inverse, se retourne, tout comme Guts, on va commencer à le haïr autant que jusque là, on l’avait aimé.
Car oui, le départ de Guts marque le début de la fin pour la bande du Faucon, et fait entrer l’arc dans une descente effrenée vers le désespoir. Griffith va péter un câble, oublier toute prudence, faire la seule erreur stratégique et politique qu’il fera mais une erreur vulgaire et, surtout, fatale à ses plans, qui vont s’arrêter net. Sans leur leader et sans Guts, la bande du Faucon est décimée mais grâce à Casca, leur esprit reste en vie et la vengeance envers ceux qui ont enfermés Griffith reste une possibilité. Le bon roi de Midland qui, jusque là, était un des seuls personnages vaguement raisonnables de la noblesse nous montre son vrai visage, autant public que privé, et lui aussi déçoit toutes les espérances qu’on avait placé en lui.
Il ne reste plus que la bande du Faucon comme arche morale, mais ils vont devoir affronter des ennemis qui ressemblent toujours à des personnes mais sont de plus en plus ignobles, de plus en plus monstrueux, de moins en moins… humains, justement. Que ce soit les Bakarika, assassins aux physiques inhumains et aux pouvoirs étrangement compliqués, où la bande des chiens noirs, dirigée par un démon mal déguisé en humain dont le motto est « YOLO » avec quinze ans d’avance, plus on avance et plus on se rapproche de l’aspect sombre et dégueulasse que nous prophétisait le début du manga.
Et donc, on en arrive à l’Eclipse.
C’est cool qu’on aie appris à aimer toute la bande du Faucon, qu’on aie appris à adorer tous ces personnages, qu’on aie eu envie de leur souhaiter leur meilleur à tous ces tueurs crapahuteurs qui excellent dans les arts guerriers. Vraiment très cool. Parce que là, ils vont tous mourir et de manière méga sale. Mon côté historien est même un peu passionné parce que je vois que les tomes qui contiennent l’Eclipse sont sortis au Japon mi 1996 et début 1997, donc quelques mois avant The End of Evangelion et j’étais à deux doigts de faire une théorie genre « ça a inspiré Anno pour la fin de The End » où, pareil, tous les personnages un peu pétés qu’on a appris à aimer meurent tous de manière un peu atroce, mais je me suis rendu compte que ça aurait été une remarque un peu con puisque les deux scènes sont clairement inspirées par la même chose, cette même chose étant certainement Devilman.
Dans tous les cas, bon bah, ouais, on en chie. A titre perso, je vous avoue que Pippin j’étais à deux doigts de la chiale, non seulement le gars il se sacrifie pour sauver ses potes mais IL RESTE DEBOUT COMME UN CHEF alors que son corps est intégralement vidé. Putain, cette page quoi:
Même la mort de Corkus elle fait un peu mal parce qu’elle est ultra pathétique, c’est là qu’il est presque le plus humain. Judeau, évidemment que j’ai pas aimé, j’adorais Judeau, c’était le meilleur gars de la bande, le plus malin, le plus roublard. Et puis, bon, comment ne pas évoquer tout ce qui arrive à Casca ? Pour plein de raisons, je suis pas fana de montrer explicitement les viols dans les intrigues – je développerais un autre jour c’est pas ici la question – mais tin, deux fois en dix chapitres. Deux fois. Et la deuxième fois est sans doute la plus horrible. C’est encore plus tragique que, genre, deux tomes plus tôt, t’avais une scène de sexe entre elle et Guts, qui était clairement aux antipodes en matière de traitement, et de beauté (si on excepte la… euh… strangulation.) Du coup tu vois la seconde scène de viol, dans ton esprit, t’as forcément la scène avec Guts qui revient en tête et tu comprends immédiatement pourquoi Casca elle ne sera vraiment plus la même. La voilà violée par l’homme qu’elle aime et admirait alors que juste avant, alors qu’elle avait essayée pendant tout l’arc de ne pas être « juste une femme », les démons la réduisent justement à son corps de femme. C’est la seule de toute la bande qui subit ce qu’elle subit parce que c’est la seule femme. C’est horrible, horrible.
Et pourtant, l’Eclipse, j’ai jamais pu me stopper de lire. C’était révulsant, choquant, en tant que lecteur le manga faisait son maximum pour me dégouter, mais je pouvais pas lâcher. Car l’intrigue se développe malgré tout, car quitte à être dans un mauvais moment à passer autant le lire d’un seul coup pour atténuer la douleur, peut-être car visuellement ça reste extrêmement travaillé, avec des cases d’une force sans égal, qui attirent l’oeil comme jamais. J’en ai pas parlé une seule fois jusqu’ici parce que je pense que poster des cases le suffisait mais si vous voulez je vais l’expliciter: Kentaro Miura, il a un putain de talent quand il s’agit de te sortir des doubles pages travailées et des cases marquantes. Si son style est parfois un peu « brut » dans les premiers tomes, avec des cases parfois involontairement hilarantes, dans l’Âge d’Or son style il est maîtrisé, et ça débouche sur une débauche visuelle permanente.
Puis au niveau design, le passage de l’Eclipse il est cauchemardesque bien comme il faut. Les accumulations de visages, ce brouillard de ténèbres qui enveloppe en permanence les personnages, les démons répugnants… Void. PUTAIN DE VOID.
C’est un alien de Mars Attacks, déjà un truc qui me rendait pas très heureux quand j’étais môme, mais ici en encore plus flippant car étrangement… crédible. Je sais pas comment l’exprimer mais si les démons existaient vraiment, je pense sincèrement qu’ils auraient cette gueule. Le Void il débarque dans une double page super emblématique, tu sais direct que c’est pas l’empereur du comfy. Y’a pas UN seul truc qui, d’un point de vue design, est attractif à l’oeil pendant quinze foutus chapitres. Ou que tu regardes c’est des corps en lambeaux, des visages remplis de souffrances, des démons affreux, des paysages de cauchemar. Même Griffith, une fois devenu Femto, n’est qu’ébène et ténèbres, loin de la beauté qu’il dégageait et représentait auparavant.
Mais la bonne nouvelle, c’est que contrairement à The End of Evangelion où toute cette mort et cette horreur était définitive, bah dans Berserk l’Eclipse n’est qu’une phase de l’intrigue, donc tout ne peut pas se terminer de manière intégralement noire, et nous offre quand même une maigre note d’espoir, suffisante pour qu’on s’accroche, suffisante pour que tous comme les personnages on puisse y survivre. Cette note d’espoir, c’est le squelette le plus cool de toute l’histoire du manga, le CHEVALIER SQUELETTE.
Débarquant au milieu du Festin pour sauver le cul de Guts et Casca, le Chevalier Squelette pourrait être sur le papier un deus ex machina mais Miura a très bien fait attention de nous l’introduire à plusieurs reprises par le passé, empêchant ainsi que son intervention brise notre suspension consentie d’incrédulité. Et yep, son intervention nous fait du bien: enfin, les démons ont un vrai obstacle, enfin nos héros ont une vraie aide et enfin ils ont une possibilité de s’en sortir. Et ça amène donc sur la fin de l’arc, les enjeux sont clairement posés pour Guts, on comprend définitivement ses motivations, on veut le voir défoncer Femto, mais avant ça, un dernier chapitre, l’extraordinaire chapitre 90, où, sans le moindre dialogue, Miura nous fait comprendre le désespoir et la rage de Guts à travers un sprint déchaîné à travers une forêt. Magistrale conclusion.
A l’heure où je vous écris, je n’ai pas encore continué Berserk au délà du chapitre 94, donc j’ignore complètement ce que va donner les (wow) vingt-cinq tomes suivants. Qu’est-ce que ça va donner en terme de ton, en terme d’enjeux. Je sais vaguement que Guts va se faire de nouveaux amis (dont pas mal d’enfants), que y’a une sombre histoire de traversée en bateau qui dure longtemps et que je vais devoir réapprendre la notion de patience à un moment mais dans l’ensemble je part vers un Berserk quasi inexploré, dont je n’ai que peu été « spoilé. » Je suis curieux et fébrile, mais dans tous les cas, quoi qu’il arrive, juste pour cet arc de dix tomes qu’est l’Âge d’Or, j’aurais à jamais un profond respect pour ce manga. Je comprends pourquoi cet arc est le symbole de l’oeuvre, pourquoi quand on doit adapter Berserk en série ou en film, on n’adapte que cet arc.
Car à lui seul, l’Âge d’Or de Berserk est ce que j’ai vu de mieux en terme de dark-fantasy. Après, je vous avoue que c’est pas un genre qui m’attire énormément, entre autres car c’est un genre envers lequel j’ai beaucoup de préjugés liés à des œuvres très médiocres, qui partent du principe que la dark fantasy c’est carte blanche pour de la violence, du sexe et des massacres gratuits. Combien de mangas de dark fantasy oublient complètement de construire leurs univers, leurs personnages pour juste remplir un cahier des charges de scènes-chocs vouées à plaire à un public sans doute jeune et qui cherche sa dose de violence et de sexe ? Et c’est pas limité qu’au Japon puisque combien d’oeuvres se disent « wah on va faire du Game of Thrones » mais la seule chose qu’ils récupèrent du Trône de Fer c’est le sexe, le sang et le concept de tuer des personnages de manière parfois inattendue, oubliant que l’oeuvre de Martin est surtout construite sur un univers extrêmement détaillé et des intrigues politiques miticuleuses.
Bref L’Âge d’Or va plus loin que ça: ici la violence construit les personnages, qui sont tous initialement caractérisés par leur rapport à ça. En outre, ils vivent tous dans un univers pleinement établi, dans lesquels ils jouent un rôle important, qui va contribuer à modifier cet univers de manière durable, pour le meilleur comme pour le pire. Ils ne sont pas tous que victimes, observateurs ou maigres pions de cet univers, ils sont bien plus que ça et ce qu’ils font ont des réelles conséquences sur leur entourage, sur leur nation, voire sur le monde. Ici, rien n’est gratuit.
Mais si L’Âge d’Or fonctionne autant c’est aussi car il rappelle à quel point il est important que si tu veux « choquer » ton auditoire, il est important de le faire intelligemment. Tout ça c’est comme tendre un élastique: plus tu tends un élastique entre tes doigts, plus il faire mal au moment où tu vas le lâcher. Si tu l’étends de pas grand chose avant de le faire claquer, ça ne te fera pas grand chose. Si tu l’étends au maximum possible, il va laisser des traces. Si tu l’étends trop, il va claquer. Enchaîner plein de scènes chocs sans jamais laisser le temps de souffler, c’est comme peu étendre l’élastique et ça attenue l’efficacité du choc au point de le rendre extrêmement vain. Faire monter la sauce au maximum, balancer UN moment choc, c’est laisser des traces. Trop faire attendre, ou aller beaucoup trop loin, ça claque et les gens vont abandonner votre bordel, devenu un fil de caoutchouc disgracieux et inutile.
Je sais pas trop si ma métaphore est claire mais en gros, ouais, Berserk sait étendre à fond son élastique.
Bref, voilà mes retours sur cet arc. Je pensais honnêtement que j’allais faire un petit article de 1000 mots, j’en ai fait le quadruple assez aisément mais c’est vrai que y’a énormément de choses à dire sur tout cet arc. Très heureux, donc, de l’avoir enfin fait découvrir et si de votre côté vous hésitez toujours à tenter le coup, bah honnêtement allez y. Je suis un peu mitigé sur les trois premiers tomes de Berserk (y’aurait pas eu Puck comme compas moral de Gust, j’aurais un peu vite lâché tant le gars est assez relou) mais tout l’Âge d’Or, ouais, ça vaut le coup. Je sais pas ce que ça vaut en film / série mais, vraiment, en manga, c’est effectivement une vraie réussite, qui a même pas pris tant une ride que ça. Chapeau.
3 commentaires
red
Maté la série de films y a deux ans, c’est excellent, rue-toi dessus!
emi
Grosse plume, t’as bien saisi la lourdeur de l’arc ! Haha j’ai un peu revisité de façon littéraire l’age d’or du coup, intéressant de voir une autre perception de mon arc préféré sur écran
Thom
Merci pour ce très beau billet.
Berserk, cet âge d’or, j’en reste marqué.
Il m’arrive de le relire encore par moment et l’effet ne s’estompe pas.
Vivement la suite.