Shoushimin – Little Talks
La saison d’été se termine doucement et je veux déjà m’excuser auprès d’elle pour la sévérité avec laquelle je l’ai jugée durant ma preview de fin juin – je disais que pas grand chose m’intéressait mais au final j’ai maté une quinzaine de séries et j’en ai vraiment apprécié une douzaine, avec deux ou trois vrais gros coups de coeur – par exemple, je pensais pas autant adorer The Elusive Samurai, dont l’univers complétement timbré et son esthétique super impressionnante, avec entre autres un usage ultra stylé du sang et du gore, m’a charmé plus que de raison.
Néanmoins, je voulais juste faire un billet rapide parce que j’ai une série qui me « hante » un peu et c’est Shoshimin.
Quand je l’ai chroniqué en preview c’est vrai que sur le papier c’était une série qui avait déjà quelques atouts: déjà parce que c’était porté par le studio Lapin Track, fondé par des anciens de Brain’s Base et composé de gens assez proches du réalisateur Kunihiko Ikuhara, qu’ils avaient accueillis pour la série Sarazanmai en 2019 et les très intéressants recap de Penguindrum sortis y’a deux ans. Ce n’est pas le seul « gros » réalisateur qu’ils ont hébergés puisque l’an dernier c’était l’excellent Mamoru Hatakeyama (Le Rakugo ou la Vie, Kaguya-sama) qui venait faire un tour pour le très déluré et assez rafraîchissant Undead Girl Murder Farce. En somme, c’est un studio qui commence à attirer mon intérêt vu que pour l’instant je le vois comme ayant la volonté de permettre à des réalisateurs reconnus de s’exprimer sur des œuvres qui sortent un peu du lot. C’est bien !
Du coup second point intéressant, le réalisateur qui vient se poser sur Shoshimin c’est Mamoru Kanbe ! C’est un réalisateur qui est assez particulier pour moi puisque je lui reconnais une certaine personnalité et la tendance à avoir des idées assez singulières – mais de l’autre côté, j’aime rarement ce qu’il adapte (Elfen Lied, par ex) ou , au contraire, quand il adapte un truc que j’aime bien je suis souvent en désaccord avec l’idée ou l’angle qu’il adopte. Par exemple, sur The Promised Neverland, je voyais clairement qu’il voulait aller sur une direction assez différente du manga, adaptant tout l’arc de l’orphelinat façon récit horrifique avec une narration se reposant énormément sur la tension créée par un certain suspens, mais ce n’est pas un angle que je trouvais très passionnant – sans doute parce que, je dois l’avouer, ayant été déjà lecteur du manga, le « suspens » ne fonctionnait plus vraiment sur moi, sachant déjà à l’avance ce qui allait se dérouler. Mais j’ai pu voir que l’anime marchait très bien sur les non-lecteurs, sans doute grâce à cette idée, faisant de cette adaptation un succès… jusqu’à la saison 2, évidemment, où il a été tout aussi victime de cette idée absurde et imposée par la prod de compresser quinze tomes en treize épisodes.
Bref, jusqu’ici, ma série favorite de Mamoru Kanbe c’était So Ra No Wo To, œuvre assez imparfaite mais pleine de personnalité, et j’avoue que j’attendais encore un rendez-vous parfait avec lui parce que, clairement, ça reste un réalisateur « fort » de la scène anime moderne.
Et puis, bon, dernier atout niveau staff: le récit original de ce Shoshimin est écrit par Honobu Yanezawa, auteur de… Hyouka ! Plus précisement, l’anime adapte donc une série de romans démarré en 2004, quatre ans après la première publication des aventures de Eru & Oreki, elles mêmes adaptées avec brio par Kyoto Animation en 2012. Et très vite, il est vrai que des similarités en terme d’ambiance semblent se dessiner: comme Hyouka, on va y suivre deux lycéens – Jogoro Kobato et Yuki Osanai – qui sont… assez particuliers. Les deux poursuivent un objectif commun assez mystérieux – c’est à dire essayer d’être « des lycéens ordinaires. » Vivant donc une scolarité où ils tâchent d’être le plus discret possible, ils sont toutefois assez rapidement rattrapé par leur passé – surtout Kobato, dont l’intellect et l’amour pour la résolution de mystères font qu’il est souvent appelé par d’autres élèves pour essayer d’enquêter sur des petits trucs qui peuvent arriver au lycée.
Le récit va donc être centré, comme dans Hyouka, sur des « petites enquêtes » aux enjeux assez triviaux mais qui vont permettre aux personnages principaux de réfléchir, théoriser et utiliser leurs logiques pour désigner avec certitude qui a, par exemple, mangé le bonbon fourré à la moutarde qui était sur la table et qui a mystérieusement disparu. Ces enquêtes assez mineures vont permettre, en parallèle, de développer la relation entre nos deux héros et mettre en place très progressivement un vrai fil rouge à base de groupes de délinquants, pour nous emmener vers des épisodes finaux où, soudainement, les enquêtes ne vont plus porter sur des choses aussi négligeables qu’au début…
Et bah du coup j’ai bien aimé !
Je trouve déjà que c’est une série qui d’un point de vue artistique m’a un peu happé dès le départ. Bon évidemment, le premier épisode j’ai été assez surpris par le format utilisé, avec des bandes noires permanentes créant un effet cinémascope qui est maintenu en permanence le temps des dix épisodes. Honnêtement, en tant que spectateur un peu lambda, c’est un choix qui m’a d’emblée paru assez poseur et que je n’ai jamais eu l’impression de voir être réellement justifié durant l’ensemble de la série. Ils l’ont faits que parce qu’ils le voulaient – et écoutez, si c’est le cas, tant mieux pour eux. Et c’est vrai que, du coup, j’ai du mal à imaginer Shoshimin en format 16:9 classique. Bref je trouve ce choix superflu et assez peu important mais, en même temps, plus le temps passe, plus il m’est difficile de délier la série de son format, et il est clair que ça lui permet immédiatement de se distinguer. Voyons donc ça comme une note d’intention.
(Puis ptet que la saison 2 se terminera sur une scène incroyable où les bandes noires vont disparaître pour symboliser un truc de ouf.)
(Oui je spoile: y’aura une saison 2 l’an prochain, j’ai déjà très envie.)
Là où j’ai moins de réserve en terme de direction artistique, ça va être tout le reste – les décors sont tops, le design des personnages est top, le choix dans les couleurs est top, la mise en scène à base de décors « rêvés » dans lesquels les personnages s’intercalent lors de leurs discussions est top, l’animation est assez humble, ne partant jamais dans des extravagances et se contentant de faire un travail très solide en permanence… C’est une série qui peut être un régal pour les yeux, mais de manière très sage, avec une vraie constance dans sa manière de sublimer cette vie quotidienne dans un milieu urbain japonais assez typique. C’est assez réaliste mais ça ne s’empêche pas de poursuivre une vraie esthétique, travaillée, mettant en avant la ville de Gifu, cadre de ces histoires 1.
Plus largement cette esthétique et cette mise en scène est bienvenue dans une série qui va vraiment mettre en avant les longues discussions. Très longues. Shoushimin est une série ou ça parle EN PERMANENCE. Ca théorise, ça réfléchit tout haut, ça pose des questions, ça y répond, ça rebondit – les personnages discutent beaucoup et passent souvent les trois-quarts d’un épisode dans la même salle de classe, la même cuisine ou la même table de restaurant. Pour offrir un peu de variété, la mise en scène met en place pas mal d’idées: angles variés, plans travaillés sur les personnages ou bien surtout séquences de « voyage » dans les décors concernés, où les personnages se baladent à l’intérieur des lieux dont ils discutent, ou des lieux symbolisant métaphoriquement leur état d’esprit, tout en restant physiquement dans le lieu de leur discussion.
Ça peut même parfois être déconcertant: l’épisode de la cuisine et du chocolat chaud, par exemple, on commence progressivement à ne plus savoir ce qui est de l’ordre du réel ou de l’imaginaire. J’ai cru pendant un moment que les personnages se sont faits genre 5 tasses de chocolat chaud juste pour vérifier leurs théories, avec tout le gâchis que ça implique, avant de me rendre compte que ces illustrations étaient « imaginées » !
J’avoue que selon mon humeur ou ma santé, ces longues discussions dans un animé ça peut devenir difficile à suivre – c’est une des raisons pour lesquelles je peux caler devant des séries de blabla. Mais ici Shoushimin est parvenu à pas mal me capter, déjà grâce aux efforts qu’il fait pour que visuellement ça reste très attirant à l’œil, sans atteindre le niveau d’hystérie d’un Monogatari, qui lui compense avec une générosité de plans ou de choses à l’écran qui créent une surcharge d’information visuelle qui peuvent m’épuiser encore plus rapidement. Et puis ouais, y’a globalement un bon rythme. Les discussions vont à bon train, rebondissement régulièrement, y’a une certaine forme de synthèse et de concision qui fait qu’on reste jamais figé trop longtemps sur le même point. Et c’est là aussi bien aidé par les personnages, qui mènent ces discussions avec brio !
Disons le clairement: les deux héros de Shoshimin sont très particuliers. Quand on a évoqué la série sur Twitch lors de mon traditionnel tierlisting des génériques d’anime, quelqu’un les a décrits comme « étant dans le spectre. » Et sans être un psychiatre ou un spécialiste de ces questions, effectivement, il y’a quelques symptômes d’autisme chez ces deux personnages qui, socialement, sont clairement en dehors des normes et sont poussés par une logique qui leur est propre. Sans toutefois « sublimer » ces symptômes: on est pas dans la représentation naïve et un peu paternaliste d’un Rain Man, mais bien dans quelque chose de plus nuancé, où cette logique et cette capacité de réflexion semble effectivement impressionnante, mais a aussi tendance à isoler nos personnages – qui sans s’en rendre compte ont souvent tendance à brusquer ou agacer leurs interlocuteurs, quand ils ne sont pas innocemment insultants envers eux.
Jogoro Kobato est un personnage principal qui peut être ainsi très antipathique: c’est quelqu’un qui a un gros cerveau, qui a effectivement une capacité de déduction hors du commun et qui le sait. Oh, il le sait très bien. Y’a quelques moments dans la série où il semble jouir du sentiment de supériorité que son sens de la logique lui permet, et il tire du plaisir de troubler les gens avec sa rhétorique finement huilée. Il kiffe quand les gens savent pas quoi lui répondre. Kobato il donne le sentiment qu’il pratique la zététique sur Twitter, c’est pas toujours très rassurant. Et y’a des fois on a juste envie de lui dire de se calmer, que cette rhétorique et cette logique ne sont pas ses seules qualités, qu’il peut ne pas tout miser dessus et de faire de ça l’intégralité de sa personnalité !
La série est assez claire sur le fait que ce défaut il doit le travailler – d’ailleurs ce n’est pas pour rien que le héros se donne pour objectif d’être « ordinaire » et que cet objectif il y parviendra, à son sens, si il réprime au maximum ces opportunités de montrer son gros cerveau. Objectif qui, entre guillemets, est déjà incroyablement insultant envers le reste de l’humanité genre « je me donne objectif d’être aussi con que mes semblables », houla non oups ça va rien régler ça.
Du coup ce comportement ça amène à une scène assez cool dans le dernier épisode où on lui renvoie ses incohérences et ses contradictions à la tronche, et où ça donne une des seules fois où il a rien à dire ou répondre. Globalement je trouve que c’est une bonne écriture – et ça détonne un peu dans ce monde moderne de l’animation japonaise où j’ai l’impression que c’est devenir difficile de trouver des personnages avec des défauts. Soit on a une multitude de protagonistes très aseptisés, conçus avec des défauts les plus mineurs possibles, pour qu’ils puissent être les plus « attachants » possible, soit quand on leur en met c’est pour derrière justifier des sales actions – ou, pire, essayer de nous les faire passer pour des qualités. Du coup je suis content de trouver un héros un peu profond, qu’on a pas peur de nous montrer parfois comme réellement arrogant ou détestable, mais dont on va aussi voir les conséquences de ce défaut et globalement le combat que lui même mène avec ses « mauvais réflexes » – combat qu’hélas il perd souvent.
Ah puis y’a Yuki aussi.
Ce personnage a des YEUX TROP COOLS. La palette est ouf. Ce ptit rouge qui tend vers le vert ? Idée de génie.
Bref, Yuki est elle aussi intéressante – mais là c’est parce que finalement on sait pas grand chose sur elle. Le récit maintient en permanence une aura de mystère autour de son passé, on ne sait pas trop pourquoi elle aussi veut être « ordinaire » et dans les discussions de résolution elle joue souvent plus un rôle de questionneuse, qui va permettre au héros de rebondir et d’approfondir ses propres réflexions, que de réelle détective. Il faut dire qu’elle parle aussi assez peu – allant souvent directement à l’essentiel. Son principal trait de caractère c’est sa gloutonnerie, puisqu’on la voit souvent manger des pâtisseries de bâtard et qu’elle ne résiste jamais à emprunter de la bouffe qui traîne – souvent à ses dépend. Plus on avance, plus on nous fait même miroiter une sorte de tension autour d’elle – manifestement derrière son léger sourire et son ton doux se cache quelqu’un qui peut être très très machiavélique. Clairement, elle sait comment faire disparaître des corps, et elle hésitera pas à se servir de cette information le jour où quelqu’un commettra le délit de trop. On sent qu’elle peut vite devenir dangereuse – et elle va le prouver dans la série !
En somme c’est un personnage qui est réellement fascinant – au sens premier du terme. Elle a souvent tendance à voler l’image quand elle apparaît, et on a envie d’en apprendre plus sur elle mais la série sait intelligemment comment distiller les bribes d’informations pour nous tenir toujours en haleine. Son chara-design est là aussi une réussite parce que à priori on est sur un personnage très simple, avec beaucoup d’éléments « habituels » pour un personnage lycéen, mais qui parvient à trouver une ou deux spécificités qui la font détonner – à commencer une nouvelle fois par son foutu regard rouge-jaune dans lequel on se noie très vite, et qui nous fait presque oublier qu’elle aussi a des légers problèmes qui peuvent sortir n’importe quand….
Après, quand elle débarque dans une scène habillée en hippie, comment ne pas être encore plus intrigué, finalement ?
Du coup, très logiquement, j’aime bien voir ces deux personnages ensemble. Il y’a une bonne alchimie entre ces deux gros idiots pas très doués socialement, et ils se complètent à merveille. Mon épisode favori de la série est clairement le sixième, qui se concentre sur une journée que Kobato passe chez Yuki, et qui implique entre autres toute une histoire de crime pâtissier parfait que j’ai trouvé aussi drôle que bien écrit – et qui repose beaucoup sur la complicité et la relation que ces deux-là se sont crées.
J’aime aussi le fait que cette relation, comme les personnages, reste assez complexe et ne soit pas aussi simple et naturelle que les apparences le laisse penser – là aussi, la discussion que les deux personnages partagent tout le long des épisodes 9 et 10 est assez passionnante, et montre bien que leurs propres défauts respectifs peuvent certes avoir des conséquences importantes au sein même de leur relation mais qu’ils se connaissent tout de même vraiment bien.
Bref – tout ça pour répéter une dernière fois que j’ai beaucoup aimé cette première saison de Shoushimin. Si vous avez aimé Hyouka ça peut évidemment vous intéresser car, si la base est à peu près la même, l’angle choisi est suffisamment différent pour ne pas faire dans la redite – les deux protagonistes sont bien plus mystérieux, bien plus friables, et globalement plus complexe. Parfois, sous certains aspects, j’ai même le sentiment que l’auteur utilise Kobato pour « parodier » Oreki, pour se défouler de certains défauts de son protagoniste de Hyouka. Là ou Yuki est une version miroir de Chitanda – son opposé en terme d’énergie, mais aussi en terme d’intentions.
Après je dois admettre que ça reste une œuvre clivante, qui ne conviendra pas à tous les publics – le second épisode et sa dissertation de quinze minutes sur comment un personnage a pu préparer du chocolat chaud est un vrai test pour savoir si vous allez accrocher au reste de la série ou non. J’avoue adorer ces mystères « mineurs », ces petites réflexions et déductions dignes de grands détectives sur des trucs extrêmement triviaux, y’a toujours un léger effet de décalage qui me plaît beaucoup et, encore une fois, je trouve les dialogues suffisamment bien faits pour rendre tout ça divertissant comme il le faut. Vu sa quantité de dialogues, c’est une série qui aurait d’ailleurs été parfait pour une VF, qui aurait clairement permis à beaucoup de se concentrer vraiment sur ce qui est dit et sur les idées visuelles, sans avoir en plus une grosse quantité de sous-titres à lire et interpréter en parallèle.
Mais là aussi je peux comprendre que ça paraisse ennuyeux auprès de beaucoup, que le combo « mystères mineurs + personnages pas conçus pour être immédiatement attachants » en fasse quitter plus d’un très vite. Mais c’est une œuvre qui a une idée claire de ce qu’elle veut être et de ce qu’elle veut dire, qui a pas peur de prendre des risques et qui développe une personnalité claire – elle m’a parfois beaucoup amusée dans le décalage qu’elle propose et des fois elle m’a passionnée dans les discussions qu’elle a pu m’offrir. Ca marche bien, et j’aborderais la saison 2 avec beaucoup de joie, allez hop !
PS: Point bonus évidemment pour les génériques, particulièrement l’ending qui est évidemment interprété par le meilleur des artistes, c’est à dire Amo 😎😎… Pardon ? C’est « ammo » ? Ah… Bon eh l’homonymie est maintenue donc 😎😎😎😎.
- Bravo à Gifu dont l’office du tourisme semble commencer à arroser l’animation japonaise, on avait déjà eu au printemps A Salad Bowl of Eccentrics qui mettait bien en avant la ville et son histoire. ↩
Un commentaire
Lama
Ok, ça m’a convaincu de m’y mettre. =)