Le Vent Se Lève – De Jiro en Zéro
Un nouveau film d’Hayao Miyazaki c’est pas quelque chose qui arrive tous les quatre matins, surtout quand le film en question porte le titre difficile de « dernier film de Miyazaki avant sa retraite. » Bon on connaît le petit père maintenant, on sait qu’il va avoir du mal à vraiment quitter la direction et que son ombre restera présente sur tous les films du studio jusqu’à sa mort. Et peut-être même encore longtemps après mais bon là ça commence à être macabre, je veux pas qu’il meurt un jour moi.
Bref nous y voilà : après un Château Ambulant que dix ans après j’ai complétement oublié et un Ponyo dont je n’étais clairement pas le public ciblé, voici le Vent se Lève, un film directement centré sur un sujet dont on le sait passionné : l’aviation. Vous vous en êtes pas rendu compte ? Miyazaki adore les avions et en case dans presque tous ces films. Porco Rosso étant l’exemple évidemment le plus explicite.
Donc nous avons là une histoire trèèèès largement inspirée de la vie d’Horikoshi Jiro, un ingénieur en aéronautique qui a contribué à sortir le Japon de l’entre deux guerres de la préhistoire dans laquelle ses avions s’étaient alors enfermés. Les plus gros fanas de Seconde Guerre Mondiale savent tous que les japonais ont réussis à produire un des meilleurs chasseurs de tout le conflit avec le Zéro mais, avant ça, c’était pas top. Donc grosso modo le film s’inspire d’éléments de la vie réelle du jeune homme, y rajoute pas mal de choses et en plus rajoutes quelques références ici ou là comme de nombreux éléments du roman Le Vent se Lève écrit en 1937 par Tatsuo Hori.
Tout ça fait donc un film de deux heures, raconté de manière chronologique, débutant dans l’enfance du jeune Jiro et se terminant aux alentours des années 40. Est-ce que ça marche ? Absolument. Néanmoins le film n’est pas exempt de deux ou trois défauts, et voilà le moment très gênant ou un branleur de 24 ans s’amuse à dire à Miyazaki ce qu’il aurait du faire de mieux dans son film. Indécent.
Cet article ne contient absolument aucun gros spoiler parce que ça serait très bête de le réserver aux cinq pélés qui ont pu le voir en avant-première (comme moi.) Allez-y sans peur.
Comme d’habitude j’aime attaquer mes articles par la dissection de ce qui est pour moi très largement le plus gros défaut du film : ses voix. Etrangement, ça sera sans doute la première fois ou vous conseiller de regarder la VF au lieu de VO a une réelle légitimité. Surtout qu’en plus les VF Ghibli étant assurées par Disney, on a l’assurance d’avoir un truc solide… et sans doute moins loupé que ce que j’ai pu entendre hier.
Déjà, c’est terrible, mais je vais dire du mal d’Hideaki Anno. Cet homme, réalisateur d’Evangelion et de Gunbuster si vous vous demandez qui c’est, est quelqu’un que j’adore vraiment. Je le connaissais pas avant Evangelion, et ce type m’a flanqué sa dépression en plein dans la gueule et j’ai apprécié ça. C’est quelqu’un qui fait ce qu’il aime faire (et gare à ceux qui veulent lui forcer la main), qui est toujours passionné pour tout ce qu’il fait y compris ses adaptations kitchissimes de Re :Cutie Honey en film live, et il se laisse pas démonter par ses fans, en leur trollant parfois la gueule de manière à ce qu’ils ne comprennent absolument plus rien à la vie. Mais mon dieu, pourquoi l’avoir choisi pour doubler le héros du film, Jiro ? J’ai vraiment été grave sorti du film quand, après dix minutes, le Jiro enfant passe au Jiro de 20 balais… et se met à parler avec la voix d’un cinquantenaire qui n’essaie même pas de se déguiser. D’autant qu’Anno parle toujours avec le même ton de voix, une sorte de bruit grave, monocorde et déprimant, qui ne connaît que deux ou trois variations au mieux . Il n’est pas un homme très expressif !
En soit, avec le recul, on peut reconnaître que ça peut coller avec un personnage de Jiro qui reste un artiste enfermé dans sa bulle et incapable de vraiment exprimer des sentiments mais alors pourquoi continuer à avoir un ton à l’encéphalogramme plat même dans les scènes ou il semble explicitement avoir des vrais émotions ? En soit, c’est particulièrement gênant au début du film, puisque vers la fin on est habitué et, le personnage grandissant, ça colle de mieux en mieux. Mais je peux pas m’empêcher de penser que ça donne une impression de travail non terminé. Comme si on avait juste un acteur qui lit au micro pour s’échauffer et que c’est ce qui est resté. Au moins, y’a une qualité dans tout ça, c’est que Miyazaki a essayé de faire quelque chose de différent. Mais je sais pas, ça paraît bizarre.
Les autres personnages ont des voix bien plus « normales » donc là par contre il n’y a rien à dire mais par contre ça devient le crash ferroviaire quand soudainement des langues étrangères sont utilisées… On a du français parfois, de l’anglais ici, de l’italien là, beaucoup d’allemand… Ca dépend une nouvelle fois des acteurs (l’actrice qui joue Naoko sort une phrase dans un français impeccable) mais trop généralement l’usage des langues étrangères brise le rythme et nous fait sortir du film. Soit parce qu’elles sont prononcées par des acteurs japonais incapables d’avoir le bon accent (entendre des personnages allemands parler allemand avec un accent japonais méga fort est quand même bien douloureux) soit parce que parfois ça n’a pas de sens : un personnage va parler en allemand, Jiro va répondre en allemand, l’allemand va répondre en japonais, Jiro va reprendre en japonais et l’allemand finira par parler un mélange des deux. Les scènes concernées sont une petite poignée mais eh, ça choque quand ça tombe. Autant parler directement en japonais pendant tout le film et oublier ces histoires de barrières de la langue qui ne semblent avoir finalement que très peu de repercussions. Mais je chipote.
Mis à part ça, un autre défaut du film c’est ses quelques longueurs. Les deux heures du film, on les sent passer et à deux ou trois moments, on a l’impression que la fin est proche alors que… non. Mais de l’autre coté, difficile de pointer avec exactitude les moments qui semblent de trop. Je me suis un peu ennuyé genre cinq ou six minutes dans le début de la seconde partie du film (à l’hotel, grosso merdo) tandis que d’autres personnes de mon entourage ont préférés s’ennuyer à d’autres moments (l’un au début, l’autre à la toute fin) donc ça sera sans doute dépendant de vos attentes du film. Ca se trouve, avec du pot, vous allez vous ennuyer à aucun moment.
Enfin le troisième et dernier défaut que je peux honnêtement reprocher au film est son histoire d’amour très… robotique. Ca occupe finalement peu de place dans le long-métrage et la conclusion de celle-ci est très très belle, mais il y’a des moments ou la relation amoureuse entre le héros et Naoko est un peu dissonnante, mécanique. Quand ça arrive, ça saute aux yeux, ça fait sortir du film. En fait c’est même terrible parce que quand aucun des deux personnages ne parlent, il y’a des scènes merveilleuses, à la beauté émouvante (leur mariage, en tête.) Mais dès qu’ils communiquent, y’a un aspect automatique, cliché assez déroutant et assez antipathique. Pas aidé par la performance d’Anno, il est vrai, qui n’est pas le plus crédible du monde quand il dit à sa partenaire « tu es belle, je t’aime » de manière un peu forcée. Mais là j’ai l’impression de l’enfoncer et j’ai pas envie d’enfoncer Anno – il est trop cool pour ça. Bref, cette relation amoureuse est d’une qualité très inégale : parfois très belle, parfois assez froide, et je crois pas que c’était le but recherché. Dans tous les cas, encore une fois, je tiens à mettre en avant le fait que j’ai trouvé la conclusion de cette relation très très belle donc elle n’est clairement pas à jeter. C’est juste que des fois… elle paraît pas vraie.
Mais en général, toutes les plus belles scènes du film sont les scènes silencieuses. Celles ou personne ne parle, et ou tout se fait par des actions, des plans, de la musique (Joe Hisaishi est d’ailleurs encore très en forme.) Le personnage principal se retrouve souvent dans ses rêves, et ceux-ci sont d’une beauté souvent époustouflante, riches en couleurs, en effets, en idées et gags visuels. En parlant d’idées visuelles époustouflantes, la scène au tout début du film mettant en scène le tremblement de terre de 1923 est sans doute la meilleure représentation animée que j’ai vu d’un séisme, que Miyazaki réussit à symboliser de manière particulièrement monstrueuse. Il faut le voir pour le croire et c’est de loin une des scènes les plus marquantes du film.
Et quel personnage principal. Si Miyazaki voulait rendre hommage à Hirokoshi Jiro, il n’aurait pas pu faire mieux. Le personnage, malgré sa voix vieille et traînante, est terriblement adorable. Souvent perdu dans ses pensées , très très peu adapté au monde dans lequel il vit, cherchant sans cesse à s’évader via son imaginaire et le monde de l’aviation. Miyazaki en profite également pour faire le parallèle avec la vie d’artiste, et la créativité. « Ingénieur ou artiste, nous n’avons que dix ans pour profiter de notre créativité avant qu’elle s’en aille à jamais » lance un des personnages du film à Jiro. Est-ce que Miyazaki a voulu nous laisser un message ou s’excuser d’avoir une seconde partie de carrière moins bien que la première (alors que le mec peut se vanter d’avoir offert de 79 à 2001 six ou sept grands films) ? A nous de trouver la réponse.
Techniquement, le film est beau, on reconnaît toujours cette patte Ghibli avec ses personnages choux et rondouillets aux cheveux expressifs. La musique, j’en ai parlé, est d’excellente facture et, comme d’habitude avec Miyazaki, les rires et les larmes sont mélangés de manière parfaitement hétérogène, formant un tout indissociable et réussi.
Au final, je ne comprends pas vraiment pourquoi pourquoi le film aurait fait scandale. La presse sud coréenne a craché sur le film en expliquant que le film occultait trop les massacres japonais durant la Guerre, les pacifistes japonais ont crachés sur un film qui fait la gloire d’un créateur d’engin militaire, la droite du pays a craché sur un film qui assumerait pas assez l’héritage du pays, enfin bref c’est un peu confus tout ça, et ça sent la course à qui se posera le mieux en pauvre petite victime moraliste.
Parce que finalement, le film se déroule sur vingt années politiquement tendues et c’est courageux de la part de Miyazaki d’avoir malgré tout accepté le challenge. Parce que rien d’osé de sa part : les Nazis sont jugés par un personnage présenté comme positif comme une bande « de vauriens » et, plus tard lors d’un voyage en Allemangne, surpris en train de tabasser à plusieurs un type désarmé. Bref, pas spécialement bien considérés. Tandis que le Japon impérialiste est présenté comme un système qui rend le pays pauvre et arriéré, parti pour affronter plus gros que lui, et qui paraît extrêmement doué à prendre des décisions visant à se tirer une balle dans le pied. Jiro est d’ailleurs présenté comme extrêmement pacifiste, et regrettant amérement de développer des avions pour les militaires, ce qu’il juge comme un mal nécessaire vu qu’a l’époque, si tu voulais créer des avions, c’était l’armée comme client ou rien.
Bref, si il faut se poser des questions ce n’est certainement pas sur le film, qui présente finalement des japonais qui tentent de vivre dans un Japon gouverné d’une main de fer, mais sur les intentions de ceux qui cherchent absolument à imposer leurs causes et leurs malheurs au monde entier, profitant de la moindre occasion, comme des vautours. Cela ne fait que les rendre antipathiques, pour ne pas dire profondément casse-couilles. En plus d’avoir l’impression qu’ils ne savent pas de quoi ils parlent, ce qui ne serait pas spécialement surprenant.
Parenthèse fermée, le plus important à retenir c’est que Miyazaki ne regrette pas l’époque de l’Empire et des Kamikaze, et ne pense pas que le Japon a jamais rien fait de mieux qu’envahir la Mandchourie ou génocider les chinois en masse. Loin de là. Et il évite l’erreur classique de considérer que tous les habitants du Japon dans les années 30 étaient des fanatiques dévoués à leur empereur, peut-être parce que comme il est lui-même japonais, il peut se permettre d’éviter ce genre de clichés. Finalement dans le film, ce qui est assez réaliste, c’est que les conflits étrangers sont considérés avec la même distance et la même blasitude par les citoyens japonais du film que nous avec nos interventions militaires au Mali ou en Libye. Ca se passe loin, c’est la guerre mais elle est loin, des jeunes gens y vont, les autres restent, la vie continue.
Arrêtons de responsabiliser les innocents, quoi. Et de rendre l’histoire encore plus manichéenne qu’elle ne l’est déjà.
Bref.
Le Vent se Lève n’est évidemment pas le meilleur Miyazaki mais il est difficile de nier que ce film est sans nul doute un cadeau que Miyazaki s’est fait à lui-même. Réaliser un film romançant l’histoire d’une des figures majeures de l’aéronautique, une de ses passions, a du lui faire un bien fou et ça se ressent. C’est son film le plus passionné depuis le voyage de Chihiro, là ou le Château Ambulant sentait le cahier des charges un peu forcé et ou il était avec Ponyo pas totalement à l’aise avec le genre, comme un poisson en dehors de l’eau ( GAG.) Là il en a eu rien à faire, il a fait ce qu’il voulait, et c’est merveilleux. Si c’est le dernier film « d’Hayao Miyazaki » et bah aucun regret.
Donc que dire ? A sa sortie, aucune peur à avoir à l’idée d’aller le voir au cinéma. Il le vaut. Mais est-ce que vous avez besoin de moi pour avoir envie d’aller voir un Miyazaki au cinéma ?
PS : Et contrairement à ce que toutes les rumeurs racontaient en 2011 et bah surprise, le film n’a rien à voir avec Fukushima. Pas une seule référence, pas un seul détail, rien, nada.
Un commentaire
Faust
« ça se trouve, avec du pot, vous allez vous ennuyer à aucun moment. »
► ou alors, ça va faire comme avec tous les films de Miyazaki et je vais m’ennuyer en permanence…
Mais comme le sujet m’intéresse, j’y jetterais peut être un coup d’œil.