Persona 3 ~ Memories of You
Persona 5 sort dans quelques jours en Europe et aux Etats-Unis, et tout la presse semble déjà être formelle: c’est LE JRPG du moment, celui sur lequel tous les projecteurs sont braqués. Jeu étendard, avec des titres comme Zelda, Nier Automata ou The Last Guardian, d’une industrie du jeu vidéo japonais qui aurait enfin quitté un marasme dans lequel elle aurait stagné depuis trop longtemps, parce que j’imagine qu’on joue pas tous aux mêmes jeux. Dans tous les cas, on est bien de loin de l’accueil très timide qu’avait eu Persona 3 lors de sa sortie en Occident il y’a maintenant neuf années, et je vous avoue que j’ai un peu loupé le moment où Persona est passé du statut de « JRPG gentiment niché » au « JRPG auquel jouent les gens qui ne font jamais de JRPG. »
Mais si du coup, j’ai vraiment hâte d’être mardi prochain, et d’enfin pouvoir me mettre à ce jeu que j’ai attendu dès le jour où j’ai vu défiler le générique de fin de Persona 4 quelquepart en mai 2009, mes pensées se tournent définitivement en ce moment surtout vers Persona 3, me refaisant revivre avec tendresse et nostalgie tout ce que le jeu m’aura appris. Un jeu qui m’aura vraiment touché, transformé, et qui aura été là pour moi au moment où il fallait. Petit article très personnel, donc, pour lui rendre hommage et vous expliquer, avec peut-être trop de détails sur moi-même et sans aucun spoiler sur le contenu du jeu, pourquoi Persona 3 en particulier a une place si importante dans ma vie.
Je me souviens parfaitement et distinctement du jour où j’ai acheté Persona 3. C’était au Monde Meilleur de Caen, une boutique hélàs fermée depuis mais qui se trouvait dans la rue de Besnières, à quelques pas du théâtre. Une boutique très petite, où on se marchait dessus, mais que j’identifie à des souvenirs toujours positifs, souvent liés à mes anniversaires: mes parents avaient l’habitude de m’y emmener pour que je choisisse quels jeux je voulais comme cadeaux. Bref c’est en ce mardi 11 Mars 2008 que je pénètre dans cette échoppe chère à mon coeur avec cet objectif très clair en tête: acheter le Persona 3 qui trônait en vitrine. Son achat n’était pas une surprise, c’était un achat planifié, envisagé de longue date depuis qu’un jour de janvier 2008, alors que je partageais un gite auvergnant avec quelques potes de l’Internet, l’un d’entre eux nous parla longuement de la franchise Persona et nous pitcha le troisième épisode, non sans enthousiasme. Depuis ce jour, je savais que ce jeu me plairait, quand bien même mon contact avec Shin Megami Tensei III quelques années avant ne fut guère joyeux, la lassitude de me faire démolir par des boss m’ayant alors rapidement envahie.
Si l’achat de Persona 3 était donc planifié, le fait que je l’achète ce jour-là l’était cependant bien moins. Une heure avant de l’acheter, j’étais donc dans mon lycée, il était sous les coups de dix heures, le temps était celui d’un début mars typique du Calvados: frais, venteux, où le crachin règne en maître absolu. Pas de quoi mettre énormément de baume au coeur. J’avais une petite heure de littérature prévue entre 10 et 11, le professeur n’est finalement pas là, de manière imprévue. Temps libre de dix heures à treize heures, alors faisons nous plaisir, prenons le tramway caennais et allons donc en ville avec quelques économies en poche pour s’acheter ce jeu dont je ne savais finalement rien de plus que ce que cet ami avait pu m’en dire, quelque part vers deux heures du matin une froide nuit d’hiver.
Evidemment, le plan était que j’achète le jeu, que je revienne au lycée et que je m’y mette après être rentré chez moi mais, bon, vous savez quoi ? La personne que j’étais à cette période n’était en règle générale jamais vraiment motivée à aller en cours. Elle n’était d’ailleurs jamais vraiment motivée pour faire énormément de choses. Pour mettre les choses dans le contexte, mon année de Terminale n’est clairement pas la meilleure année de ma vie. Et pour être même encore plus précis, je vivais à l’époque ma première dépression nerveuse. En ce mois de mars 2008, j’étais au coeur de la tempête et la détresse psychologique que je ressentais à l’époque était à son apogée. Je ne savais pas exactement pourquoi je n’allais pas bien, j’étais incapable de trouver des causes précises, tout ce que je savais et ce que je ressentais c’est que rien ne fonctionnait comme il le devrait. J’avais perdu motivation, envie et sentiments pour quoi que ce soit. Plus rien ne me touchait, ne m’énervait, ne me faisait plaisir, je vivais tout mécaniquement et le jour où j’en ai pris conscience n’a rien arrangé: comme un homme en train de couler qui, par sa panique, accélère sa noyade, me rendre compte que je n’allais pas bien ne faisait qu’exciter le mal-être qui m’habitait.
Persona 3 était donc, dans tout ça, une espérance de distraction. C’était l’époque où j’engloutissais masse d’animés, de jeux, de séries télés. Je bloguais également massivement, déjà ici, avec quatre ou cinq articles par semaine, littéralement sur tout et rien. Je voulais garder mon esprit occupé au maximum, toujours faire quelque chose qui ne me laisse pas dans l’ennui, ce qui m’aurait forcé à me confronter avec moi-même. Je regardais ou jouais jusqu’à tard la nuit, jusqu’à ce que j’aie l’assurance d’être si fatigué que j’étais certain de dormir immédiatement dès que je me coucherais, et que je n’aurais pas à gamberger.
J’insère le jeu dans la PlayStation 2, il doit être autour de treize heures. Et voici Burn My Dread.
Dire que je suis instantanément sous le charme serait un euphémisme. Pourtant, à froid, c’est un générique un peu brut de décoffrage, pas forcément méga bien fini, les personnages sont pas dessinés de manière impeccable, le rythme est pas méga maîtrisé, les citations random en français ça fait même déjà un peu kitsch. Mais, déjà, pour le moi de 19 ans qui traînait son premier spleen, il y’avait un petit quelque chose qui s’allumait au fond du coeur.
Ce qui est amusant maintenant que j’y pense, c’est que je me dis à quel point finalement je connaissais rien du jeu avant de l’acheter. J’en avais une idée que je m’étais faite sur ce qu’une seule et unique personne m’avait dit, mais je n’avais rien vu et rien regardé sur Internet avant de m’y mettre. Je ne savais pas à quoi il ressemblait, je ne connaissais rien du gameplay. Le système de calendrier, les S Links, les Persona ? Moi pas savoir. Et le pire du pire c’est qu’il m’aura fallu quelques années pour me rendre compte que le jeu que cet ami m’avait décrit ce n’était pas du tout Persona 3… C’était Persona 2 Eternal Punishment ! La belle confusion de ma part mais qu’importe au vu du résultât.
Du coup je ne m’en étais rendu compte qu’après l’achat du jeu mais Persona 3 était… en anglais. Pas forcément une grande surprise, mais déjà peu après l’achat je suis pris de doutes car j’étais à l’époque… un lecteur médiocre de l’anglais. J’avais réussi par je ne sais quel miracle à lire tout Harry Potter et les Reliques de la Mort en anglais lors de l’été précédent mais ça avait été une lecture difficile, compliquée et j’étais passé à côté de quelques détails ou de moments forts. J’étais en outre un élève médiocre dans la discipline, malgré mes études littéraires option anglais renforcé, qui traînaissait entre 7 et 9 en terme de moyenne. La faute peut-être à une envie médiocre d’apprendre la langue après une série de mauvaises notes en sixième qui m’ont fait lâcher l’affaire et m’ont fait me convaincre que je ne serais jamais bon dans cette matière, donc à quoi bon faire des efforts ?
Je mentionne ça car si il y’a quelque chose que Persona 3 m’a littéralement appris, c’est comment lire l’anglais. Avant le jeu, je lisais l’anglais de manière brute, en m’arrêtant sur chaque mot pour essayer d’en comprendre le sens, en essayant de tout traduire de manière impeccable. C’était très rébarbatif, ça me faisait passer un temps affreux sur chaque phrase, très frustrant quand à côté j’ai toujours lu le français avec une aisance et une rapidité qui me rendait un peu fier. Persona 3 m’a permis d’adopter un vrai réflexe qui m’a, à partir de là sauvé la vie: me prendre un peu la moins tête. Et, surtout, commencer à penser en anglais. Je ne sais pas comment expliquer ça précisément mais à partir de ce jeu j’ai commencé à arrêter de vouloir traduire mécaniquement chaque mot et j’ai commencé à me baser sur mes connaissances en grammaire et en vocabulaire pour déduire le sens des phrases sans forcément avoir une maîtrise complète. Je comprenais les dialogues. Je butais certes sur 2/3 mots ici où là mais rien qu’un coup de dico ou de recherche google ne pouvait élucider. Donc me voilà, à ma grande surprise, à lire aussi vite de l’anglais que du français… j’ai fait le switch. J’avais l’impression d’avoir enfin décodé le grand mystère de l’apprentissage d’une langue, un mystère que je poursuivais depuis mon entrée au collège et mes nombreux échecs dans des matières variées telles que l’anglais, le latin, le grec, l’italien ou le russe. Il aura fallu attendre la Terminale prouvant, si il le fallait, la légendaire médiocrité de mon sens du timing.
Du coup, après huit années à me taper du 8 permanent en anglais, quelques mois après Persona 3 je me paierais une belle moyenne de 16 au troisième trimestre, et un petit 14 écrit 16 oral au bac, une performance qui n’a aucun sens au vu de mon parcours, comme si un marathonien bon dernier pendant 40km faisait un rush final sur les 2 derniers km pour finir vaguement vingtième. Dans tous les cas à partir de là c’est le début d’un vrai confort à lire de l’anglais ce qui va me permettre de m’ouvrir tout un pan de la culture que je m’interdisais alors: les animés dispos qu’en anglais, les sites Internet anglophones, les JV pas traduits en français… Est-ce que sans Persona 3 j’aurais pu faire tout ça ? Peut-être, j’aurais pu acquérir ce réflexe d’une autre manière, avec une autre oeuvre… Mais tout ça reste du probable, de l’hypothétique, il n’y a là pas de certitudes.
Dans tous les cas me voilà à jouer au jeu de manière très intensive: les sessions étaient rarement de moins de trois heures et si je voulais de quoi occuper mon esprit, j’étais bien servi. Il faut dire, pour ma défense, que Persona 3 est un jeu conçu pour être addictif via son système impitoyable de calendrier. Tu veux sauvegarder et éteindre le jeu mais au final tu te dis toujours « allez j’éteins mais avant je vais passer du temps avec ce mec français qui occupe le club de couture » qui était toujours suivi d’un « ah attends je veux faire étudier mon perso ce soir, ça serait con de sauvegarder, de reprendre la partie et d’oublier ce que je voulais faire » et deux heures plus tard d’un « ha pas mal ce grind d’une heure dans le Tartarus, j’ai enfin pu récupérer tous les Personas nécessaires à cette quadruple fusion. » Les seuls moments où j’éteignais vraiment la console étaient d’ailleurs souvent dûs à des Game Over frustrants car, il ne faut pas l’oublier, le jeu restait quand même impitoyable et perdre 45mn de grind dans le Tartarus à cause d’un Hama balancé sur le héros, ça n’étais pas du plus agréable. Rien que de repenser à cette maudite idée qu’est celle de t’offrir un Game Over si le héros est KO, je me sens défaillir.
Mais bon, non seulement l’aspect urbain et social du jeu me plait beaucoup mais je flashe et tombe amoureux de toute l’ambiance du jeu. Je me lie d’affection aux personnages, j’adore les menus colorés, j’ai comme tout le monde un crush sur l’OST du jeu, colorée et dynamique, avec des sonorités pop et rap que je ne connaissais pas dans le monde du JRPG qui, je dois bien vous l’avouer, se composait pour moi de jeux de fantasy certes excellents mais aux univers un poil semblables. Et puis bon, tout cet aspect un peu glauque et provocateur de Persona 3, avec ce Tartarus interminable mais parfois glauque, ces humains enfermés dans des cercueils lorsque vient la Dark Hour et ce visuel fort de voir ses personnages continuellement se mimer le geste de se flinguer contribue à me donner ce sentiment de voir quelque chose… que je n’ai jamais vu ailleurs. Je retrouve ces sentiments mêlés de malaise et d’admiration que je n’avais ressenti jusqu’alors que sur un autre jeu, tout aussi grandiose mais encore moins accessible: Killer7.
Mais du coup même si je passe beaucoup de temps sur le jeu, reste que j’avance lentement car, après tout, ça reste un jeu d’une très grande longueur. En parallèle, ma vie continue: j’essaie de faire soigner ma dépression mais on me prescrit n’importe comment des anti dépresseurs qui ne me sont pas adaptés et me font passer par des effets secondaires qui aggravent ma situation ; je me rends à Paris pour mon premier événement Epitanime et à cause de ce mélange entre timidité et motivation médiocre je passe l’événement seul sans envie de faire quoi que ce soit ; mon meilleur ami quitte le lycée et me laisse un peu seul mais heureusement il me reste le théâtre, pour la pièce de fin d’année où j’ai certes un rôle mineur et limité mais dans lequel j’essaie de faire de mon mieux. Tout n’est pas rose mais je m’accroche, je tente quand même des choses, je ne veux pas laisser la situation pourrir. C’est déjà ça.
Et puis j’approche peu à peu de la fin du jeu. Il est environ fin avril quand je le termine. Je ne spoile rien mais je trouve en la fin du jeu un message émouvant, touchant. C’est étrange parce que aujourd’hui je n’ai de cette conclusion plus un souvenir si palpable que ça mais je sais qu’à l’époque ça m’avait fait me réveiller, me faire prendre conscience de quelque chose. Soudainement, j’ai eu le sentiment de retrouver pied. Sans doute le sentiment d’accomplissement. J’avais passé une centaine d’heures avec ces personnages, à vivre leur quotidien, à en apprendre de plus en plus sur eux, et c’est alors que venait le temps des adieux. Ca aurait du me briser le coeur mais en réalité, même si j’étais ému, je me sentais fier et heureux d’avoir pu passer ce temps en leur compagnie. Ca paraît très niais, très naïf dit comme ça, mais je les remerciais d’avoir été là.
A partir de là, tout est allé mieux: j’ai commencé à retrouver les sentiments que j’avais alors perdu, j’ai retrouvé mes repères, la motivation d’aller en cours, de bosser le baccalauréat, envisager avec serenité ma future entrée à l’université, réapprendre à m’exciter pour des événements comme la Japan Expo qui allait arriver… Je me sentais à nouveau libéré, comme délesté du poids que j’avais alors.
Evidemment, il n’y a pas eu non plus de miracles, il y’avait encore certains jours qui ont suivis où j’avais de nouveau le moral dans les chaussettes, mais c’était à chaque fois très ponctuel et je parvenais à me reprendre, à me forcer à faire des choses. Et ce n’était finalement que très temporaire, j’ai ressombré à peine un an plus tard, mais là il faut dire que j’échouais mes études universitaires, que ma famille explosait en plein vol et que études supérieures aidant j’avais perdu toutes relations avec mes potes, désormais dilapidés tout autour du pays. J’avais cette fois des raisons claires et identifiées de ne pas bien aller, c’était donc… très différent. Et pas forcément plus agréable.
Persona 3 est donc un jeu qui m’est extrêmement cher. Il m’a ouvert à des connaissances que je n’avais pas encore et il a su me soigner l’esprit à une époque où j’en avais besoin. Le jeu dispose de qualités objectives certaines mais il reste pour moi surtout ce jeu, cette oeuvre, que j’ai croisée au moment où il le fallait quand il le fallait. Une rencontre qui m’a inspirée autant qu’elle m’a dorlotée. Alors pour tout ça, je continuerais à avoir un respect infini, une reconnaissance totale envers Atlus, envers la team Persona, envers les designs de Soejima, envers les dialogues ciselés par Tanaka, envers les musiques divines et détonnantesde Shoji Meguro, envers même ces voix anglaises un peu mal surjouées comme seuls les américains qui doublent du JRPG peuvent nous l’offrir. Je ne peux rien lui reprocher, tout lui adorer. Je n’ai aucune objectivité et je n’ai pas envie d’en avoir la moindre même si paradoxalement je n’ai jamais réussi à refaire une partie plus de deux heures tant j’ai envie que ma première expérience reste la seule, celle gravée dans le marbre.
Persona 3 est mon jeu de cœur, littéralement, et vous savez donc désormais pourquoi. Et à moi désormais de ne pas faire l’erreur d’exiger de Persona 5 qu’il chamboule autant ma vie que le troisième volet l’avait fait neuf ans avant, la tâche est ardue même si, je vous l’avouerais, j’aurais bien besoin d’un quelque chose qui me remette d’aplomb en ces temps difficiles. Allez, on y croit.