Alphabet Estival – L’Oignon
Ding dong ! On est à la lettre O de l’alphabet estival, donc on a dépassé la moitié !
Le jour où il est né, l’oignon déjà était petit et rond. Ses parents étaient aussi petits et ronds, alors cela ne le dérangeait pas d’être fait ainsi. Mais ce que l’oignon ne comprenait pas, c’était pourquoi il ne sentait en plus pas très bon. Ce n’est déjà pas facile d’être petit et rond, alors si en plus on ne sent pas très bon, quelles étaient ses chances de réussir dans la vie ? Car ce petit oignon n’était pas comme comme les autres petits oignons: c’était un petit oignon qui avait de l’ambition. Il voulait voir haut, il voulait voir loin. Mais ce n’est pas facile de voir haut et loin quand on est petit. En plus, ce n’était pas facile pour lui de se déplacer car il était un oignon, il n’avait pas de pied. Alors certes, il pouvait rouler mais ce n’était pas précis, pas aisé. Parfois il avançait dans une pente, il ne pouvait pas s’arrêter, parce qu’il roulait, alors il finissait en bas de la pente alors qu’il aurait bien aimé s’arrêter au milieu de la pente pour acheter du chorizo chez le charcutier. Il tentait parfois de se dire que ce n’était pas grave, qu’après tout il était un oignon petit et rond, qu’il n’avait pas de mains ni de poches, alors il ne pouvait pas tendre l’argent au charcutier pour acheter du chorizo. Et, de toute manière, était-ce bien chez le charcutier qu’on trouvait du chorizo ?
Mais un jour, le petit oignon tomba dans un fleuve. Ce fleuve était le plus long de France: c’était la Loire, ce fleuve de 1034 kilomètres qui partait se jeter dans l’Océan Atlantique, et qui avait des affluents aussi célèbres que la typique Nièvre, l’insolente Maine, la royale Indre où bien l’oubliable Ixeure. Durant cette oddysée fluviale, le petit oignon manqua à plusieurs reprises de voir son auguste corps percuter violemment les multiples obstacles qui jonchaient son parcours: ici une péniche, là un canard, parfois un aigle à col blanc, quand ce n’était pas d’horribles touristes néerlandais et leurs enfants ayant approchés les verres de vins d’un peu trop prêt.
Le pauvre oignon ne pouvait pas nager, car il n’avait pas de bras, donc ne pouvait que se laisser porter et observer le paysage, avec les yeux de son cœur… Ce qui lui permit d’admirer les beaux châteaux de la région, les jolies vignes, le rutilant TGV, les gens qui jettent d’autres gens peu vivants dans le fleuve et dans un sac noir où bien les formidables villages au nom un peu trop compliqué pour un petit oignon comme lui.
Alors qu’il allait arriver à Nantes, le petit oignon fut repêché par une petite enfant blonde aux yeux argentés et aux cheveux rouges flous. Ce n’était sans doute pas normal dans un cadre réaliste mais le petit oignon vivait dans un cadre fantaisiste alors c’était acceptable d’un point de vue crédibilité. Et la petite fille lui adressa alors la parole, dans un ton olympien.
« Petit Oignon. Je sais ce que tu veux devenir, ce que tu veux être. Je connais tes souhaits et je peux les exaucer. »
Le petit oignon ne répondit pas car il était après tout un petit oignon. Il n’avait pas de bouche pour répondre oralement, ni même de nerfs pour montrer la moindre réaction. La petite fille le savait, alors elle reprit sa discussion.
« Je vais faire de toi un Petit Oignon avec des pieds, des bras, des yeux, une bouche et des sourcils. Tu vas pouvoir devenir ce que tu as toujours rêvé, devenir un oignon puissant, dont la vie serait suffisamment riche pour permettre à un article wikipédia d’obtenir le sigle « article de qualité. » Tu seras invité à la télévision, tu auras du pouvoir, de l’argent. Tout cela te permettra de nager dans le chorizo. Peut-être cela te permettra de séduire plus facilement tes amies oignon féminines. Pour cela je n’ai qu’a dire qu’une formule magique. »
Le petit oignon était très intéressé par ce que lui disait la petite fille. Elle avait sans doute elle aussi un peu trop abusé des alcools rouges dont la région semblait une importante productrice, mais le petit oignon voyait en lui naître un sentiment que jamais il n’avait connu: le sentiment de l’espoir. Certes, il rêvait en permanence de devenir un grand oignon, il avait de l’ambition, il avait étudié l’économie, mais il savait jusqu’alors rester raisonnable dans ses rêves, et il savait pertinemment que jamais ceux-ci ne deviendraient réalité. Cela était pour lui la seule façon de se sentir encore un peu vivant, de ne pas se laisser aller à sa condition de légume. Mais ici, cette jeune fille lui promettait de rendre ses rêves réalité, de récompenser ses efforts, sa patience, de permettre à tout ces fantasmes d’être appliqués dans la vie réelle. L’oignon en avait envie de pleurer.
« Alabadracapoc » murmura la petite fille. L’oignon ressentit, pour la première fois de sa vie, la douleur. Mais c’était une douleur qu’il savait nécessaire. Alors il serra les dents. D’abord d’une manière figurative, puis très vite, d’une manière beaucoup plus concrète puisqu’il obtint de véritables dents. Quand la douleur stoppa, il ouvrit les yeux – car désormais il en avait – et constata qu’il était toujours un petit oignon mais qu’il avait désormais des petites jambes noires et fines ; des petits bras fins et noirs ; des petits yeux jaunes et curieux ; de petits sourcils épais et dignes ; des petites oreilles mignonnes et délicates ; et surtout une petite bouche sensible et réaliste.
« Merci beaucoup, petite fille. » dit-il. C’était ses premiers mots. Il savait parfaitement utiliser le français. Car il était un petit oignon précoce, qui avait lu beaucoup de livres. Son préféré était d’ailleurs Sans Feu Ni Lieu, de Fred Vargas, une fantastique histoire d’un accordéoniste crétin qui est accusé d’un crime qu’il n’avait pas commis. D’un autre coté, le petit oignon n’avait lu jusqu’a présent que deux livres, le second était un Marc Levy quelconque que le narrateur omniscient que je suis n’ose même pas évoquer.
« Je n’ai fait que mon devoir de fée, petit oignon. Je me nomme Cécité Duflot. Et toi, quel est ton nom ? »
Le petit oignon se rendit compte qu’il n’avait pas jusqu’a présent pas de nom. Il ne s’en était jamais donné car il trouvait que « le petit oignon » était un moyen suffisant de le désigner et de le distinguer du reste de la masse des légumes et autres amis du potager. Mais c’est vrai que désormais il n’était pas qu’un simple petit oignon, il était plus que ça, il devait se choisir un nom, pour se présenter à une société humaine dont il était désormais un membre à part entière. Il se souvint de l’encyclopédie qu’il avait lu un jour et de tous les grands hommes qui s’y trouvaient. Gandhi, Martin Luther King, Louis XIV, John Kennedy, Eric Cantona, Jean-François Copé. Il pouvait s’inspirer de tout ces noms, pour montrer un dernier et vibrant hommages à ces hommes du passé qui semblait représenter une importance centrale et religieuse aux yeux de l’humanité dans son ensemble.
« Mon nom sera Gandhi Obama. Gandhi Obama l’oignon révolutionnaire.
– Soit. Alors je te souhaite une destinée olympienne, Gandhi Obama, l’oignon révolutionnaire. Derrière moi se retrouve une route. Suit cette route et tu arriveras à Angers. Angers se présente comme une ville française typique d’une cinquantaine de milliers d’habitants mais c’est en réalité, dans l’ombre, la véritable capitale économique de la France. Pour faire simple, rends-toi à cette adresse et tu trouveras le siège de la franc-franc-maçonnerie française, ce sont eux qui détiennent les clés qui t’amèneront au succès économique, politique et culturel que tu recherches, Gandhi Obama.
– Je te remercie de ton aide, Cécité Duflot, et crois bien que je repenserais à toi quand il le faudra. »
Gandhi prit la direction que lui avait indiqué Cécité. Il avait de petits pieds mais Angers n’était pas très loin, donc il ne désespérait pas. Il était rempli de bonheur et d’allégresse, et se prit à rêver d’une nouvelle vie qui lui ouvrirait les portes de la fenêtre de la vie, enfin quelque chose comme ça…
Sur le chemin, il rencontra un jeune touriste qui semblait porter un sac à dos géant. Gandhi lui lança:
« Bonjour, je suis Gandhi Obama l’oignon révolutionnaire et je souhaiterais savoir si je suis sur la direction vers Angers. »
Le jeune touriste tourna son visage dans la direction d’où provenait ce qu’on pourrait décrire comme une voix petite, mais virile. Quelle ne fut pas sa surprise quand il vit que c’était un oignon avec de petits bras, de petites jambes, de petits yeux, une petite bouche, de petits sourcils et de petites oreilles qui était la source d’une telle phrase ! L’espace d’un instant, il accusa la douce boisson rouge et alcoolisée qu’il avait bu la veille mais reprit ses esprits et ne put que constater la réalité qui se posait devant ses yeux, yeux qui d’ailleurs étaient verts et jaunes en même temps, ce qui n’est plus étonnant dans l’animation japonaise de nos jours – donc n’est plus très étonnant dans la réalité.
« Bonjour, Gandhi Obama, je suis Farid Duchâteau. Je suis l’héritier de la marque Renault, et tu es bien dans la direction vers Angers. Veux tu que je t’y amène ? »
En tant que narrateur, j’aimerais souligner – pour tordre le coup dès maintenant à une potentielle confusion – qu’il est bel et bien l’héritier de la marque de voitures Renault, et non pas héritier de la quincaillerie Renault, située 17 Rue du Porche, à Saint Saturnin, dans le département de la Maine et Loire. La confusion étant levée, je peux maintenant vous livrer la réponse de Gandhi, qui fut fort enchanté de la proposition de Farid.
« Bien sûr, jeune jeune à la peau pas très blanche mais au nom bien national. Je souhaite me rendre à la réunion nocturne des francs-francs-marçons, vu ton rang élevé dans la société française, tu dois savoir où c’est, je me trompe ?
– Non Gandhi, tu as tout à fait raison, je suis moi-même franc-franc-maçon, depuis même ma naissance. Pour te conter une cocasse anecdote, je fus celui qui décida de faire passer Jean Marie le Pen au second tour de 2002, parce qu’a l’époque j’avais 8 ans, et je trouvais que le nom sonnait bien, pour la simple et bonne raison que j’avais huit ans. Et c’est aussi la raison pour laquelle Jenson Button fut champion du monde de Formule 1 en 2009. Étonnant, non ?
– Effectivement, Farid, j’en suis bouché-bé ! Raconte moi donc d’autres anecdotes pendant que nous marchons ensemble vers Angers ! »
L’après-midi entre les deux hommes se déroula de manière absolument charmante, et Gandhi se sentit naître une âme vouée à la socialisation et aux discussions ardentes et passionnées. Certains pourraient penser qu’il faisait tout ça de manière calculée, afin de s’exercer à des arts qui lui seraient plus tard utile afin de manipuler, mentir et pratiquer d’horribles chantages, mais l’esprit de Gandhi était à ce moment là pur et dénué de la moindre arrière-pensée. Et avant même qu’il ne s’en rendait compte, il était à Angers, capitale économique officieuse de la république française.
Farid l’avait déposé devant une grande porte avant de s’absenter, prétextant l’achat immédiat d’un jeu vidéo de qualité nommé Alpha Protocol, dont il avait lu une critique enthousiaste sur un blog de l’Internet qui n’est certainement pas lié à l’auteur de cette nouvelle. Reste que sur cette grande porte un oeil avisé comme celui de Gandhi pouvait lire « CERCLE SECRET DE LA FRANC-FRANC-MAÇONNERIE FRANÇAISE » mais peu n’y prêtait vraiment attention, car la société humain du XXIe siècle était une société qui ne prête en général que peu d’attention, surtout à des noms aussi riches en allitérations aussi ridicules. Gandhi savait que derrière cette porte l’attendait un avenir riche, une concrétisation de ses ambitions et des jeux vidéo payés à moins de cinq euros.
A suivre.
Les illustrations du petit oignon sont de Sedeto ! Fin du petit bonus, samedi, on attaque la lettre P de manière sérieuse, analytique et un peu chiante. Espérons que ça soit un petit P. Qui fasse pas trop d’odeur.
2 commentaires
Nihi
J’en pleurerais presque
Mian
Epic bulb is epic.