Le Tombeau des Lucioles, la mauvaise étiquette
Article court 1 parce que faut que j’ÉCRIVE A TOUT PRIX. Ca fait un an que j’alterne entre phases d’hyper-production et phases de longs syndromes de la page blanche, j’aimerais trouver un équilibre plus clair dans ma vie mais ça c’est pas de votre faute, vous y pouvez rien et vu que ma vie va beaucoup changer dès le 1er janvier 2022 pour des raisons que j’expliquerais plus tard, je sais très bien quand tout va aller mieux et quand je vais pouvoir commencer à travailler pour régler ça. Donc en attendant le bilan annuel animé (qui sortira dans deux semaines, j’espère) et le bilan annuel du Jump (sur lequel j’ai déjà un retard monstrueux donc l’attendez pas aussi tôt que l’an dernier) voici un article qui va revenir sur un sujet qui a tendance à me GONFLER MENU au moins une fois par semaine grâce à la MAGIE des RÉSEAUX SOCIAUX qui parfois me forcent à lire les HOT TAKES DE MERDE de gens DONT J’AI POURTANT RIEN A FOUTRE. Ce sujet en question c’est LE PUTAIN DE TOMBEAU DES LUCIOLES.
LE PUTAIN DE TOMBEAU DES LUCIOLES est un film sorti au cinéma au Japon en avril 1988, soit onze mois avant que je sorte du ventre de ma mère. Il est réalisé par le studio Ghibli, et plus particulièrement par le très grand Isao Takahata, et avait la particularité au Japon d’être non seulement sorti le même jour que Mon Voisin Totoro mais en plus d’être parfois diffusé en « combo » avec lui – vous pouviez prendre votre place pour voir le Tombeau des Lucioles suivi de Totoro. Deux salles, deux ambiances vous me direz, mais c’était une idée rigolote du producteur Toshio Suzuki qui est un mec très doué pour vendre ses films, vendre l’image de son studio et foutre la merde pour attiser l’esprit créatif de ses réalisateurs vedettes. Après être sorti au Japon, il faudra quelques années pour qu’il traverse la moitié du globe terrestre et sorte en France en 1996, où il marquera les esprits – surtout la presse et la critique puisque les entrées en salles resteront assez minces (29 700 entrées au total, ce qui est deux à trois fois moins que le nombre de gens qui ont matés mercredi soir Antoine Daniel réagir à sa réaction de sa conférence de Polymanga en 20142.)
Il participera néanmoins à ce « renouveau » de la vision de la japanime en France, en même temps que d’autres grosses sorties cinématographiques de cette époque (Akira, Ghost in the Shell, Perfect Blue, Jin-Roh, etc etc) qui créeront l’image de la japanime comme celle d’un plaisir bien plus « adulte » qu’on ne pourrait le croire. Avant cette vague les critiques un peu chiants et un peu bourgeois chiaient sur la japanime à cause du Club Do mais maintenant qu’ils ont eu leurs films « sérieux » avec de la violence, des thèmes matures, des gens qui meurent et ptet même des tétés de ci de là ils ont pu commencer à approuver la japanime. Progressivement.
Et donc c’est un film assez important au sein de l’histoire de la japanime en France… en plus d’être un bon film, ouais.
Bon l’intrigue elle est plutôt connue mais on y suit deux gamins: un garçon nommé Seita, accompagné de sa petite soeur Setsuko. On est dans le Japon de la seconde guerre mondiale, c’est donc pas forcément le meilleur moment pour vivre sur l’archipel, surtout quand ta ville se fait bombarder avec des bombes incendiaires par les américains. Des bombes qui ont tendance à brûler plein de trucs: les maisons japonaises en bois (dont la tienne), les rues, les villes et, oups, TA MAMAN. Devenus orphelins de fait (le père étant au front sur l’océan et étrangement difficilement joignable), ces deux gamins – l’un de 14 ans, l’autre de 4 – vont donc devoir apprendre à se débrouiller par eux même. Une aventure qui ne se termine pas très bien, et avant que vous m’accusiez de spoiler bon disons que la destinée des personnages est un fait que le film ne camoufle pas vraiment vu qu’il démarre directement en nous montrant les derniers instants de la vie du héros. Coup dur, quoi !
Derrière c’est quasi pur jus un film de Takahata: c’est beau à en crever, y’a un amour des plans longs dépourvus du moindre dialogue, y’a un aspect un peu irrégulier au sein du film où des scènes incroyables peuvent être suivis par des longues scènes beaucoup plus banales et, en gros, on se concentre surtout sur les « moments de vie » d’un duo de personnages qui, destinée tragique ou pas, vivent quand même dans cette situation terrible des petits moments de joie entre quelques autres moments de galère. Takahata étant un cinéaste qui m’a toujours semblé fasciné par raconter des personnages plutôt que des histoires, c’est le genre de récit sur lequel il est plutôt à l’aise, et ça se ressent.
En gros, ouais, c’est un film que j’aime plutôt bien, c’est pas mon favori du cinéaste (je lui préfère Pompoko et, surtout, Le conte de la princesse Kaguya) mais je lui trouve des qualités fortes et je trouve qu’il réussit plutôt bien à exécuter l’angle qu’il a choisi de poursuivre – en gros raconter le quotidien de deux victimes de la guerre, avec tous les bonheurs et les peines que cela implique. Un angle que va encore plus maîtriser l’extraordinaire Dans un recoin de ce Monde 25 ans plus tard… mais je divague !
Car ouais du coup pour enfin s’attaquer au sujet, ce qui me saoule avec le Tombeau des Lucioles c’est pas le film en lui-même c’est L’IMAGE qu’on a IMPOSÉE à ce PUTAIN DE FILM. Quand on parle de ce film on parle toujours DE LA MÊME PUTAIN DE CHOSE. A chaque fois qu’un gus va évoquer le fait qu’il l’a vu il va toujours DIRE LA MÊME CHOSE. Quand le film est jugé et critiqué il est toujours jugé sur un seul et même UNIQUE CRITÈRE. Et c’est LASSANT. Et c’est GAVANT. Et c’est RÉDUCTEUR.
Bref, j’en ai vraiment RAS LE CUL qu’on IMPOSE et ALIMENTE pour le Tombeau des Lucioles une image DE FILM QUI FAIT PLEURER.
J’ai entendu parler du Tombeau des Lucioles autour de 2001 quand Canal+ avait organisé en juin de cette année là un « mois manga », qui impliquait la diffusion sur sa chaîne de nombreux classiques d’alors. C’est dans ce contexte là qu’un matin de juin 2001, alors que j’avais 11 ans, je me suis levé à 5h du mat pour mater Perfect Blue en cachette sur le décodeur de mes parents. C’est aussi dans ce contexte que j’ai maté un samedi matin avec mon père Jin-Roh, sur lequel on ne pigeait fondamentalement pas grand chose parce que moi j’avais 11 ans et parce que lui je crois qu’il était en gueule de bois car comme tous les samedi matin il avait trop bu la veille et je pensais que c’était normal vous voyez papa il est juste fatigué il a travaillé toute la semaine hein ? Bref pas le temps d’être triste, surtout que à 18h y’avait aussi Serial Experimants Lain et, pareil, j’étais fasciné même en ne comprenant rien – rassurez-vous là c’est un peu plus attendu.
Dans ce même mois était aussi diffusé Le Tombeau des Lucioles, IL ME SEMBLE. Et déjà le fascicule Canal+ de ce mois là évoquait un film REMPLI D’ÉMOTION. Dans un Consoles+- ou était-ce un Gameplay RPG ? – de la même période, un court encart écrit par Kamel – où était-ce un pigiste de Gameplay RPG ? – le film était également évoqué, et en parlait comme un truc « qui fait pleurer toutes les larmes du corps. » Bref dès 2001 j’ai acquis cette info fondamentale « Tombeau des Lucioles = chiale. » C’était un mantra, mantra que j’ai vu répété de plus en plus au fur et à mesure de mon entrée dans l’Internet. Ainsi, « C’est quoi les animés qui vont le plus pleurer » demandait ce topic en 2006. On pouvait pas encore repondre Clannad ou Your Lie in April à l’époque alors tout le topic disait « Le Tombeau des Lucioles. » Puis est arrivé le point où avant même que je voie le film, je savais déjà à la perfection ce qui s’y déroulait, entre autres grâce aux 30 milliards de vannes dans des trucs comme le duo AMV Hell / AMV Enfer (burn baby burn ♪ Disco Infernooooo ♫.)
Bon bref, me voilà début 2018 à partir du principe que Le Tombeau des Lucioles c’est ce film certainement TRES TRISTE à cause du fait que le HÉROS EST OBLIGE D’INCINÉRER SA PROPRE SŒUR. Bon, ok !
Et en 2018 je mate le film.
Et… en fait… à ma grande surprise… je découvre que ce film…
… il est pas très émouvant ?
Et attention quand je dis ça je veux pas être ce GENRE DE CONNARD qui arrive juste pour dire « eh, le tombeau des lucioles c’est nuuul, j’ai pas pleuré ^^. » C’est justement ce genre de phrase ou de brag à la con que j’ai tendance à détester quand on évoque le film. Si tout ce que t’as à dire sur le Tombeau des Lucioles c’est que tu as pas pleuré devant, ok super, tu as peut-être plus intéressant à nous transmettre comme information, non ? Parce qu’on s’en bat les couilles, non ? Surtout que, attention, on s’en fout que t’aies pas pleuré parce que le film n’a pas à mon sens pas été conçu comme voulant être émouvant.
Car le Tombeau des Lucioles ne veut pas QUE nous émouvoir sur la destinée des deux personnages. Ce n’est pas l’angle principal du film. L’angle principal du film est clairement de souligner l’absurdité de la situation dans laquelle se retrouve les deux personnages principaux, absurdité créée à la fois par la cruauté de la guerre mais aussi empirée par la fierté et l’orgueil du protagoniste.
On m’a parfois dit « ouais j’ai jamais trouvé le film émouvant parce que je trouve que le héros est un connard », ce qui est… une analyse en réalité très juste du film. Mais souvent énoncée comme si c’était un défaut, comme si c’était un problème d’écriture du film. Comme si le Tombeau des Lucioles commettait involontairement l’erreur de ne pas rendre son héros suffisamment « attachant » pour que sa destinée puisse nous émouvoir.
Non, non, le fait que le héros se conduise mal c’est voulu.
Car fondamentalement, rappelez vous bien du déroulé du film: la ville du héros se fait bombarder, la mère meurt, il se retrouve à devoir gérer sa sœur… mais une solution est « apportée » puisqu’il finit par aller vivre chez sa tante. Et c’est un chapitre important du film qui est souvent oublié ! Car une fois chez sa tante nos deux héros peuvent survivre tant bien que mal. Certes celle-ci n’est pas d’une compagnie agréable, celle-ci privilégie ses propres enfants à ses deux là, elle est critique, acerbe, peu généreuse mais c’est une solution qui assure… la survie de nos protagonistes. Sauf que le héros, va décider de fuir cet abri en compagnie de sa sœur, bien convaincu et bien certain que la vie à l’extérieur sera forcément meilleure que celle avec sa tante. Et quelque part, c’est une réaction assez crédible venant d’un jeune de 14 ans, poussé par ses convictions et son idéalisme, trahi par son inexpérience du monde, qui avec sa fougue et sa fierté va du coup partir aller vivre dehors, dans un marais, dans les terribles conditions qui vont amener à la malnutrition de sa sœur – et sa mort.
On ne peut même pas douter du réalisme de la situation pour en plus une raison évidente: Le Tombeau des Lucioles est adapté d’une autobiographie où l’auteur raconte que lui aussi, à l’époque, a fui, en compagnie de sa jeune sœur, une cousine qui l’avait hébergé. Une fuite qui va amener, là aussi… la mort par malnutrition de sa sœur. La seule différence entre le film et la biographie étant, évidemment, la destinée du personnage principal.
Après mon idée n’est pas de blâmer complétement ce héros car, comme souvent chez Ghibli, nous ne sommes pas là pour patauger dans le manichéisme. Déjà avant tout, on peut comprendre les actions antipathiques de la tante envers les héros: après tout, faire survivre sa propre famille dans ces conditions est déjà très compliquée, alors se retrouver avec deux autres bouches à nourrir n’est pas forcément une news capable de te mettre le smile, surtout quand l’une des deux fait preuve de l’ingratitude typique des adolescents. De l’autre côté, toutes les pièces sont en place pour comprendre pourquoi le héros fait ces choses là, quel est son raisonnement derrière, pourquoi il pense faire la bonne chose. Il commet des erreurs mais les fait avec une véritable bonne volonté, qui rend encore plus évidente la cruauté de la situation.
N’importe quand il pourrait abandonner et retourner chez sa tante, la supplier pour qu’elle leur offre au moins un toit et le minimum de nourriture, mais il se refuse de le faire parce qu’en plus de refuser d’admettre qu’il a fait une erreur, il s’enferme progressivement durant le film dans sa conviction qu’il trouvera forcément une solution. Ce destin tragique, d’une part il se l’inflige à lui-même par fierté mais, et c’est ça le pire, il l’inflige aussi à sa propre sœur.
Sachant que, dans tout ça, la mort de ces deux personnages ce n’est au final pas qu’une question de responsabilité individuelle (ça aurait pu être la morale du film, ce qui en aurait fait un film exceptionnellement macroniste quand on y pense) car elle pose aussi la question de comment la guerre a tant transformé la société japonaise qu’elle lui a fait oublier toutes ses valeurs « collectives », et que c’est l’oubli de ces valeurs qui a fait que ce pays a laissé mourir ces deux enfants dont leur seul crime est que l’un d’entre eux… a trop fait le chaud. Ce qui est quelque part normal et attendu d’un gamin de 14 ans, adolescent, qui se retrouve projeté responsable d’une sœur sans y avoir été préparé.
On notera par exemple que plus le film avance, plus les interactions sociales entre les deux héros et le reste de la société japonaise se font minces. Ils sont énormément entourés par de nombreux personnages au début, dans l’hôpital, puis plus ça avance moins ils croisent de gens, moins ils parlent avec d’autres personnes, moins ils sont vus par d’autres personnes. A la fin le héros fait même tout pour éviter de contacter d’autres personnes (surtout quand il les pille.) La guerre a détruit le noyau social japonais, noyau social qui – si il était resté aussi soudé « qu’habituellement » – aurait normalement su prendre soin de ces deux gamins. Si ils sont morts, c’est aussi avant tout une faillite commune.
(A noter que le noyau social est souvent le sujet principal des films Ghibli de Takahata, d’ailleurs – Souvenirs goutte à goutte raconte comment une femme se découvre et se transforme au sein d’un cercle social avec qui elle connecte et lui permet d’enfin trouver sa place dans la société ; Pompoko raconte comment lutter pour une cause commune en tant que groupe social avec les unions et les divisions que cela peut créer ; Mes Voisins les Yamadas est un ensemble de petites histoires autour d’un noyau familial avec les rires et les peines que ça entraîne,etc.)
Ah et, du coup, le fait que la mort du héros arrive au milieu d’une gare bondée peu après que quelqu’un l’ait enfin remarqué et lui ai donné à manger, bah ça emphase quand même pas mal la cruauté de la situation ? Genre « on a agi… mais trop tard. »
Maintenant je ne dis pas que le film ne peut pas être émouvant. Je pleure facilement, donc évidemment que j’ai lâché quelques larmes sur certaines scènes – dont la fameuse scène des lucioles, à la fois car elle est esthétiquement superbe mais aussi car ces lucioles symbolisent extrêmement bien la tragédie dans laquelle notre héros s’est engouffré. Mais pour moi ce n’est pas forcément le sentiment principal que je retiendrais du film, et je pense que « j’ai pleuré » n’est pas le sentiment principal que le film voulait que je retienne. Je pense que le film voulait que je terme son visionnage en étant en colère ou ulcéré par tout ça. Le film et Takahata s’en foutent que j’ai trouvé triste la mort de deux enfants parce que, eh dude, c’est de base triste que deux enfants meurent. Non non ils veulent que je sois révolté parce que les adultes du film ont pas fait leur taf, taf qu’ils n’ont pas pu faire entre autres parce que la guerre l’empêchait.
Eh oui mes amis ! La vie en temps de guerre c’est de la merde ! Y’a de la famine, y’a des manques, tu peux voir tes proches disparaître n’importe quand, et si tu fais la moindre erreur dans tes plans de survie, bah tu survis pas y’a pas de filet de rattrapage. La guerre c’est pas que des champs de bataille, des grandes stratégies, des technologies high-tech développées à vitesse grand V, c’est aussi un monde où deux enfants peuvent crever parce que l’un des deux à fait l’erreur que pourtant fait tous les adolescents – c’est à dire croire faire tout mieux que tout le monde. Sauf que dans un monde de paix, habituellement, cette erreur elle est pas létale.
Les plus snobs d’entre vous me diront « wah incroyable, la guerre c’est nul, quelle évidence, quel message original ^^ » ce à quoi je leur répondrais bah ouais faut bien un rappel de ça de temps en temps, non ? Est-ce si mal de rappeler des évidences ? Surtout via l’usage d’un cas particulier ? Après avoir vu ce film, t’es prêt à vivre le même quotidien foireux ou à le faire vivre à tes enfants ? Un message doit-il être original pour être pertinent ?
Donc ouais, le Tombeau des Lucioles n’est pas un film émouvant, c’est un film cruel. Et qui utilise cette cruauté pour passer un message clair, simple, rapide et direct: la guerre y’a pas que les soldats qui y meurent. Et les civils qui meurent ne meurent pas proprement.
Si je dois du coup conclure c’est que ce sujet m’énerve aussi parce que déjà ouais ce mythe de « Le Tombeau des Lucioles c’est la chiale ultime » bon bah déjà ça file au film une image trompeuse, qui du coup va amener les critiques du dimanche (dont je fais pourtant partie) à ne juger le film que via la tristesse qu’il dégagera. Combien de gens pour dire « ouais j’ai maté le Tombeau des Lucioles, paraît que c’est le truc le plus triste au monde, j’ai pas chialé c’était pas si bien ? » Et je peux même pas les blâmer, j’ai eu cette même réaction de surprise de « oh j’ai pas chialé tant que ça » en sortant du film parce que évidemment j’étais surpris que le film soit pas si émouvant.
Sauf que après avoir digéré, ok, j’ai compris que c’est normal !
Parce que, je le répète !
Il n’est pas si émouvant !
Y’a des belles scènes mais même les scènes les plus tragiques sont volontairement mises en scène de manière très froide (genre l’incinération, c’est volontairement pesant et malaisant mais CLAIREMENT ça veut pas être émouvant.)
Donc si tu y vas que pour chialer, ça marchera pas tant que ça !
Mais si tu y vas que pour chialer ou pour juger l’émotion qu’il dégage / qu’il est censé dégager, tu risques de passer à côté de tout le reste du film et de ce qu’il raconte vraiment !
C’est pour ça que ça m’a méga saoulé quand le film a débarqué sur Netflix début 2019. Tous les médias faisaient leurs gros titres en mode « un des films les plus tristes du monde », « préparez vos mouchoirs », « c’est l’heure de pleurer. » Le film n’était plus défini que par sa supposée tristesse alors que non, il n’est pas triste, il raconte juste une histoire cruelle et tragique. Ce n’est pas le premier à le faire, ce n’est pas le dernier !
Plus largement c’est aussi typique d’une sorte de phénomène plus général qui est que, vraiment, on ne comprends plus très bien comment traiter ce qui est émouvant. Que Le Tombeau des Lucioles soit mémorisé et jugé pour un aspect émouvant qu’il ne prétend pas avoir témoigne surtout de signaux troublés quand il s’agit de parler de tristesse et de tragédie quand on parle pop-culture, créations, œuvres. Pour moi une œuvre peut me faire pleurer, et à le droit d’essayer de me faire pleurer, même en étant ni cruel, ni tragique, ni émouvant. Tout comme des récits tristes ont le droit d’essayer de me faire rire le temps d’un instant. Ce n’est pas parce qu’un film ou une œuvre parvient le temps d’une scène à m’émouvoir aux larmes que je vais pour autant considérer à jamais ce film ou cette œuvre « comme un récit ultra-émouvant. » J’ai pleuré à la fin d’Avengers Endgame ou durant un épisode entier de 86 EIGHTY SIX mais ce ne sont clairement pas deux œuvres que je résumerais par « c’est des œuvres émouvantes. »
Je pense quelque part que ça témoigne aussi du fait que nous, dans nos sociétés occidentales… on sacralise encore trop les larmes et les pleurs. Quand quelque chose nous émeut à en chialer on le retient surtout pour ça parce que c’est encore « rare » que ça arrive, et parce que quand c’est arrivé ça nous a forcé à nous mettre dans une situation – pleurer – qu’on identifie encore beaucoup comme étant une situation de faiblesse, une situation qu’on peine à contrôler et qui nous met dans des sentiments qu’on peine à gérer car finalement assez exceptionnels. En outre, on se retient de pleurer aussi car on nous a appris à considérer que pleurer… ce n’est pas bien. Donc on met sur un piédestal les œuvres qui parviennent à nous faire pleurer car, eh, elles sont parvenues à baisser nos barrières quelques instants ! Et il faut les récompenser pour ça ! En les désignant tout le reste de leur vie comme des œuvres qui font pleurer !!!
Merci la récompense !
Et pire, je trouve que trop souvent encore trop de critiques et de personnes vont même se révéler extrêmement sèches et sévères dès qu’une œuvre commettra le crime d’essayer de faire pleurer. Un film tente une blague qui fonctionne pas ? Ca sera souvent oublié dès la scène suivante. Un film tente d’être émouvant mais n’y parvient pas ? Pire crime possible. C’est là que vont être balancés des mots à la mode comme « pathos », « mélo », « écriture », « forçage de larmes », « les violons » – souvent avec une agressivité ou un mépris un peu exagéré. Parfois j’ai l’impression de lire ou entendre des gens qui ont clairement une phobie à l’idée de pleurer et qui voient toutes tentatives de les émouvoir comme une attaque personnelle, comme une tentative d’humiliation. Parfois c’est peut-être aussi une façon de se rassurer sur leur virilité, qui sait ? Ils veulent vraiment nous dire que eux vraiment ils ne pleurent pas, hein ? Et qu’ils ne pleurent que sur des scènes de grands chefs d’oeuvre qui le méritent, hein !
Pour moi, vouloir faire pleurer son spectateur, fondamentalement, ça devrait presque être aussi démocratisé qu’essayer de le faire rire. Les parallèles sont nombreux ! On a tous notre sens de l’humour, tout comme on ne pleure pas sur les mêmes choses, les mêmes thématiques. Une blague qui ne nous fait pas rire nous énervera autant qu’une scène triste qui ne nous émeut en réalité pas vraiment. A chaque fois on fait appel à des émotions fortes, et parfois irraisonnées. Rire et pleurer ont toujours été les deux faces d’une même pièces mais encore aujourd’hui, l’une de ces faces reste quand même mieux acceptée que l’autre au sein de notre société.
J’ai longtemps pensé que je « pleurais facilement » parce que, oui, fondamentalement, je suis un garçon qui pleure plus que les autres devant des œuvres. Mais plus le temps passe, plus je commence à remettre en cause cette idée. Je ne pleure pas « facilement », c’est juste que j’ai accepté et même embrassé l’idée que si une œuvre veut m’émouvoir, je vais au maximum essayer de l’accompagner pour voir jusqu’où elle peut m’emmener. Gamin, ma mère m’a surpris à pleurer devant le film Casper parce que à 8 ans j’étais super ému par le fait qu’il puisse danser avec l’héroïne à la fin. C’est un film con, une fin con ! Elle aurait pu se moquer de moi mais elle m’a alors encouragée à continuer de pleurer parce que ça « fait du bien de tout lâcher. » J’ai depuis gardé cet enseignement, et j’ai souvent laissé des œuvres me laisser pleurer parce que, ouais, ça fait du bien de pleurer, et j’ai pas de honte à avoir à le faire. Mes pleurs ne sont peut-être pas dû à ma « sensibilité » mais peut-être dû au fait que je n’ai aucun remords, aucune gêne ou aucune réserve à… lâcher des larmes.
Je pense que j’ai juste accepté l’idée que pleurer, en vrai, c’est cool.
Alors peut-être que Le Tombeau des Lucioles a cette réput de « film émouvant » parce que, justement, comme il a cette réputation, c’est un des rares films sur lesquels les gens habituellement réfractaires à pleurer s’autorisent à pleurer ? Comme si là il y’avait « le droit » parce que « si les autres gent ont pleurés devant, c’est bon » ?
« Sortez les mouchoirs » devant le Tombeau des Lucioles ! Non pas parce qu’il est plus triste que beaucoup d’autres films, mais parce que vous avez le droit d’être triste devant lui.
Quelque part, à un moment, notre inconscient collectif a classé ce film en particulier dans le domaine des « films qui ont le droit de nous faire pleurer. » Parce qu’il met en scène deux enfants qui meurent. Parce qu’une ou deux scènes peuvent amener à faire pleurer au milieu d’un pamphlet sur la cruauté de la vie civile en temps de guerre. Parce que la fin est horrible pour ses personnages. Parce que c’est un dessin animé « sérieux. »
C’est réducteur.
Ce qui m’énerve parce que, encore une fois, à partir de ce point et comme tous les autres films qui sont dans ce même zone, on ne parlera d’eux et ils ne sont plus examinés que par cet aspect.
Toutes les discussions, tous les avis autour du Tombeau des Lucioles sont les mêmes. Si ils sont positifs ça sera « ah oui c’est triste », si ils sont négatifs ça sera « haha la c’est pas si triste. »
A chaque fois qu’on parle du Tombeau des Lucioles sur Internet c’est pour clamer ce genre d’avis ultra ennuyeux, ultra chiant. Pour auto-alimenter une fausse image forcée sur le film, pour continuer à lui prêter des intentions qu’il n’a jamais eu, n’a jamais voulu avoir.
Au final, la seule chose que crée Le Tombeau des Lucioles sur Internet c’est juste des mots creux et chiants. Alors que ça ne devrait pas.
Et, tout ça, ironiquement, c’est vraiment le truc le plus triste à propos de ce film.
Donc voilà pour cet article. Il devait être court, je me suis chauffé, je suis parti dans toutes les directions, j’ai aucun regret, j’avais juste besoin d’écrire.
Comme d’hab ça rejoint aussi un de mes moulins à vent personnels, celui que je combattrais inutilement toute ma vie, c’est à dire mon agacement personnel et régulier contre le fait que trop souvent les internautes ne critiquent pas une œuvre, ils critiquent l’image qu’ils ont d’une œuvre. Dire « Le Tombeau des Lucioles c’est pas ouf car c’est pas aussi triste qu’on me l’a dit » c’est comme dire « ouais tel film il est sur-estimé par rapport aux avis que j’ai lu sur Internet. » Quand tu me donnes ton avis sur une œuvre, quand je prends du temps pour lire ou pour porter attention à ce que tu as à écrire ou à dire sur un film sur une série je veux ton avis personnel SUR L’ŒUVRE pas ton avis PAR RAPPORT A CE QUE « L’INTERNET » DIT DE L’ŒUVRE. Notez que j’écris cette phrase en constatant bien l’hypocrisie totale dont je fais preuve, moi qui vient de dédier 4500 mots à la manière dont « l’Internet » perçoit le Tombeau des Lucioles. Ca rend pas mon agacement moins fort pour autant mais au moins je peux y ajouter une haine de moi même forcément délicieuse.
Donc bon, bref, soyez vous mêmes, ayez confiance en vous et en votre avis, jugez une œuvre pour ce qu’elle est, pas pour ce que vous croyez qu’elle était, ayez des attentes mais ne vous accrochez pas à elles, essayez d’être indépendants des avis des autres… et ça sera tout aujourd’hui pour mon usage inhabituel (et un peu nul, honnêtement je hais ça) de l’impératif.
Le mois prochain on parlera de School Days.
5 commentaires
Natth
Ton article me paraît plutôt juste, il souligne bien les particularités du film et la façon dont le récit est orienté. D’ailleurs, je suis tombée sur un article parlant de la vision de Takahata derrière cet anime (qui apparemment cherchait plus à dénoncer l’époque de sortie du film que celle de la guerre) : https://www.bfmtv.com/people/cinema/pourquoi-le-tombeau-des-lucioles-nous-emeut-il-tant_AN-202105060033.html . Au final, vos conclusions semblent proches.
Pour ma part, j’avais raté le début lors de mon premier visionnage et je ne connaissais pas sa réputation de titre-larmes à l’époque. Je ne sais plus si j’ai pleuré, ou à quel point, mais je me rappelle très bien m’être sentie physiquement mal pendant 3 ou 4 jours. En fait, je l’ai trouvé plus traumatisant qu’émouvant comme film, du moins quand on ne sait pas trop ce qu’on va voir (ce qui est devenu difficile aujourd’hui).
Noob
Super article, et très vrai sur la façon dont notre société voit les larmes comme un truc honteux (mais comme plein d’autres expressions un peu trop visibles de sentiments). Je pense que ça vient d’un problème avec notre conception collective de la virilité et de la valorisation trop forte d’un détachement et de la Raison©. Bret Devereaux avait écrit un petit article là-dessus vis à vis du Seigneur des Anneaux, comment on passait d’un livre avec des larmes et des émotions fortes à des one-liners et des hommes virils qui ne pleurent pas dans le film (https://acoup.blog/2020/06/25/fireside-friday-june-26th-2020/).
Après, sur la critique qui référence la perception collective de l’œuvre… je pense que ça peut être intéressant pour en tirer sa propre analyse (ce que tu fais dans cet article, d’ailleurs :p). L’essentiel étant de ne pas laisser cette perception nous empêcher de tirer nos propres enseignements et nos propres conclusions. On ne pourra jamais s’empêcher de comparer une œuvre à ce qu’on nous en a dit (à moins de n’en avoir jamais entendu parler, bien sûr), et c’est pour ça qu’on peut parler de trucs « overhypés » ou « underrated », mais ça ne devrait être qu’une facette de ce qu’on en retire.
Et assez d’accord : le Tombeau des Lucioles, c’est triste par moments, mais c’est surtout hyper dérangeant et cruel. Vraiment un film dur, physiquement.
Bref. Cool de te relire ! =)
Elwingil
Merci pour la lecture de cet article sur LSDA. Au début ta description sur les hommes virils clichés me surprenaient mais l’analyse est effectivement très pertinente. Bien que la trilogie soit pleine de moments d’émotion, on reste dans des standards très éloignés des personnages de Tolkien. D’ailleurs, j’apprécie beaucoup que dans les livres ils soient également prompts à chanter ou à faire de la poésie : ils ne se définissent pas seulement en tant que guerrier.
Emily
Salut! Je crois que c’est la première fois que je commente ici!
« Article court » hahahahaha!
C’est très dommage que les réactions à ce genre de film se résument à « c’est triste » plutôt que d’ouvrir une discussion sur le thème. Je l’écoute et on s’en reparle!
MySi
Article super intéressant !
On dirait que le réel problème, c’est plutôt internet, les média et la façon dont est vulgarisée une oeuvre pour la rendre la plus claire possible et hyper au plus grand monde. Quand je vois des phrases de type « “un des films les plus tristes du monde” » c’est surtout ce que ça m’inspire, c’est pas une réelle description du film. Limite ça précise que c’est pas un film où on va pas rire. Il y a peut être des gens qui cherchent des films où pleurer et peuvent être déçus si l’émotion ne leur vient pas alors qu’ils cherchaient ça.
Mais au final, est-ce que ça aurait été mieux s’il avait été affiché par une phrase type « préparez vous à cette tragédie cruelle de deux enfants en pleine guerre ! » ?
Personellement, je ne recommanderais pas aux personnes de mon entourage ce film si je sais qu’elles sont très sensibles à ce genre de sujet et vont passer un moment mauvais.