Nisekoi – Go With The Flow
Alors, cet article n’est pas le premier que j’ai pu faire sur Nisekoi, ce n’est d’ailleurs même pas le second: en mai 2014, dans un mélange d’éloge et de rant je m’exprimais déjà sur les cinq premiers tomes, puis en mars 2016 je m’amusais à faire le classement des 7 fins « possibles » au manga, dans un esprit comique et délirant joyeusement assumé. Entre temps, le manga s’est conclu au Japon durant l’été 2016, et les français n’auront pas attendu très longtemps pour à leur tour goûter à cette conclusion, avec la sortie du vingt-cinquième tome en juin dernier. Cela fait donc un an que j’ai pu digérer cette fin, la redécouvrir en français et j’ai même, en début d’année, relu toute la série, histoire de.
Je vais vous mettre l’ambiance tout de suite: j’adore vraiment Nisekoi et, sans la moindre honte, je suis prêt à dire de manière certaine que c’est la meilleure comédie romantique jamais publiée par le Weekly Shonen Jump. Oh, ce n’est pas si difficile, vous me direz, les comédies romantiques « cultes » se comptant littéralement sur les doigts d’une main: on a Kimagure Orange Road, le duo made in Katsura que sont Video Girl Ai et I »s, auquel il faut rajouter dans les années 2000 le trio composé, donc, de Nisekoi, mais aussi de To-Love Trouble et de Ichigo 100%. Vous comptez bien: le magazine fêtera l’an prochain ses cinquante ans mais au total il n’aura réussi à imposer que six séries romantiques ce qui prouve, si nécessaire, que c’est un genre très loin d’être la spécialité du Jump.
Alors, certes, actuellement deux séries romantiques arrivent à s’imposer à leur tour (Yuragi-sou no Yuuna-san et We Never Learn) ce qui montre que le magazine commence à s’y ouvrir mais si on veut parler de shonen romcom, bien souvent, il faut aller visiter l’ennemi mortel de la Shueisha, c’est à dire la Kodansha, qui a toujours publié dans son Weekly Shonen Magazine une large variété de séries populaires qui parlent plus où moins de romance à des adolescents souvent en chien: on parle là de titres comme Love Hina, Yamada-kun & The 7 Witches, la totalité des oeuvres de Seo Koji (Suzuka, A Town Where You Live, Fuuka), Good Ending (et donc Love X Dilemna), School Rumble, Again!!, Wagatsuma-san, Tsurezure Children, Seitokai Yakuindomo, Soredemo Boku wa Kimi ga Suki… damn, même A Silent Voice, ça peut compter. Comme vous le voyez, en à peine quinze ans, l’autre gros magazine shonen a su rendre populaire une bien plus grande quantité de comédies romantiques qui, d’ailleurs, ne sont clairement pas écrites de manière similaire.
Car les comédies romantiques de la Shueisha vont tourner majoritairement autour de l’enjeu « avec quelle fille il va sortir à la fin », question dont la réponse signifiera forcément la conclusion du récit, récit qui gagnera du temps en misant majoritairement sur la comédie, l’humour voire le fanservice. Quant aux comédies romantiques de la Kodansha, celles-ci vont tourner autour de leur intrigue et de leurs rebondissements: les cœurs se font et se défont, les personnages croient parfois s’aimer et se mettent en couple puis finalement non, le héros va se rendre compte que celle qu’il aime vraiment c’est celle qu’il aime dès le chapitre 1, l’humour est moins important et une fois le couple « canonique » crée, l’intrigue peut continuer à s’étendre, parfois pour nous aider à suivre le quotidien de ce couple de héros qu’on a appris à connaître.
L’idée est donc de placer Nisekoi dans ce contexte car, qu’on le veuille ou non, les magazines de prépublications hebdomadaires de shonen ne sont pas spécialement les endroits les plus prompts à prendre des risques ou à proposer des séries qui sortent du moule. De part l’argent que ces publications génèrent et par leurs statuts de « vaisseaux-amiraux » pour les entreprises de publication qui se trouvent derrière, elles sont d’une importance capitale et on y propose que des choses calibrées, ou le moindre échec, la moindre faiblesse, est difficilement tolérée.
Je ne porte ici pas de jugement: si vous connaissez bien ce blog, vous savez que j’ai une vraie passion pour le Shonen Jump mais cette passion vient aussi du fait que je suis fasciné par la manière qu’à le magazine de créer du hit et du blockbuster, et comment les séries, et les auteurs, vivent dans cet environnement hostile. Quand un NisiOisin débarque dans le magazine et fait un shonen ultra méta envers et contre tout, je suis bluffé et admiratif car on sort des clous et ça passe. Idem pour The Promised Neverland qui est non seulement une excellent série mais qui est presque anachronique dans le Jump contemporain: non seulement on adore la série pour ce qu’elle raconte, mais on l’adore aussi car pour être là elle s’est battue contre le système, comme en témoigne les interviews d’auteurs qui confessent que la série aurait dû à la base finir dans un autre magazine et que eux, accompagnés de leur éditeurs, ont du insister pour que la Shueisha prenne le risque de le mettre dans leur plus gros magazine. Le côté underdog, en gros.
C’est pour ça qu’il faut comprendre dès maintenant que Nisekoi est un pur produit du Jump. Avec les faiblesses et les qualités, donc, d’une oeuvre issue du Système Shueisha. On va donc parler de tout ça, et en détail s’il vous plaît: c’est pour cela que le reste de cet article contiendra des spoilers, ne serait-ce que parce que j’ai adoré une fin que, sur le papier, j’aurais du détester et que je vais naturellement vouloir en parler longuement.
Nisekoi, j’ai mis honnêtement un peu de temps à m’y mettre. D’une part j’avais déjà été surpris de voir que le Jump se lançait dans une romcom avec un fanservice très limité, de l’autre j’avais été surpris, voire salé, que Nisekoi survive et pas une autre série romcom de l’époque, Pajama na Kanojo. Pour faire simple, c’était une série qui proposait à l’époque une intrigue très originale, mais qui explosera en vol à cause de son manque de popularité et des arrangements faits par les auteurs et l’éditeur pour essayer de contrecarrer ça.
Au final il aura fallu attendre l’adaptation animée de Nisekoi pour que je m’y mette, un projet d’animé qui m’intéressait pour deux raisons très claires: la première c’est que c’était la première fois que SHAFT s’occupait d’une adaptation d’un manga du Shonen Jump et j’étais extrêmement curieux de voir où ça allait mener, la seconde c’est que Kana Hanazawa faisait un des rôles titres, dans un archétype que j’adore: la fille mignonne et maladroite. C’est alors que j’ai regardé les six ou sept premiers épisodes avant de passer au manga, alors tout récent en France avec quatre tomes de sorti.
Ceci est important car j’ai abordé Nisekoi comme tout le monde alors a abordé Nisekoi: avec l’idée que ça allait être une comédie romantique très centrée sur son triangle amoureux et son intrigue, comme semble le montrer la vitesse à laquelle les événements se succèdent. Tout va très vite dans le début de Nisekoi: on apprend que Raku a un cadenas mais qu’il a fait une promesse et qu’il aime Onodera, paf, il rencontre Chitoge il doit faire semblant d’avoir elle, PAF PAF, un chapitre plus loin on découvre que Onodera elle même aime Raku ET QU’ELLE A UNE CLÉ, paf paf, et très vite derrière c’est Chitoge qui a une clé aussi, paf paf paf, Raku essaie une clé au pif mais ça marche pas car c’est la clé d’un vestiaire, oh non, les personnages se rendent vite compte de cette histoire de cadenas, Chitoge fait une fête, ils testent des trucs, paf paf paf paf.
Les cinq premiers tomes de Nisekoi, ils ont juste pas le temps de niaiser. Tout est prétexte à faire avancer l’action et l’intrigue romantique et les quiproquos s’empilent sur plusieurs niveaux: Onodera aime Raku, Raku aime Onodera, mais Raku fait semblant de sortir avec Chitoge, qui pourrait être la fille de la promesse, tout comme Onodera pourrait l’être, sauf que Raku teste une mauvais clé et est convaincu que Onodera ne l’est pas alors qu’elle pourrait l’être, et elle est supportée par Ruri, sa BFF, qui va tout faire pour caser Raku et Onodera ensemble. Et si ce rythme rapide il s’étend sur les cinq premiers tomes, ce n’est évidemment pas un hasard: pour une série du Weekly Shonen Jump, l’introduction est une étape essentielle à n’absolument pas rater. Si tu veux installer ta série, il faut impérativement qu’elle fasse un démarrage solide, qui attire l’oeil et l’attention car, souvent, il suffit d’un premier chapitre mal reçu pour que ton sort soit décidé et ta série annulée avant même que le premier tome soit mis en vente. Si un auteur avisé veut donc s’imposer sur la longueur, il se doit de mettre en priorité tous ses efforts sur l’intro, quitte à ne pouvoir se reposer que quand la série sera sure de s’être créée un fandom nécessaire pour survivre par la suite.
Pour Nisekoi, cela veut donc dire que l’intrigue se doit d’être ultra dynamique, capter constamment l’attention et faire en sorte que à chaque fin de chapitre le lecteur se pose la question « que va t-il se passer ensuite ? Pourrais-je attendre une semaine ? », ni plus ni moins. Contrairement à un To-Love ou un Yuragi-sou no Yuuna-san qui peuvent être populaires que grâce à leur fanservice visuellement soignée, Nisekoi a choisi de miser sur l’intrigue et la romance donc il envoie toute la sauce très tôt, très vite. La bonne nouvelle c’est qu’on accroche du coup très vite, la mauvaise nouvelle… c’est qu’elle peut clairement pas maintenir ce rythme.
Un manga de baston ? Une fois l’intro posée, tu peux faire avancer l’intrigue autant que tu veux en introduisant de nouveaux antagonistes, de nouveaux personnages, de nouveaux rebondissements: tu n’as que l’embarras du choix en matière d’archétypes et autres tropes !
Une romance ? Il n’y a pas 3000 manières de gérer un triangle amoureux et vu que là on est dans une série où la « mise en couple » signifie « la fin de la série », il faut retarder au maximum la confession et le moment fatidique où le héros « choisira » l’héroïne. Et les méthodes pour retarder ça, il n’y en a pas des masses. Alors si tu veux que ta série dure sur la longueur, une obligation quand tu écris pour un magazine pour le Jump qui, comme je l’ai dit, ne veut pas prendre de risques et veut faire en sorte qu’une série qui marche marche longtemps, tu peux introduire de nouveaux personnages qui viendront rejoindre le harem et devenir des prétendantes « supplémentaires », ce que Nisekoi va faire, où parfois juste changer de genre… et ça aussi Nisekoi va le faire. Et c’est peut-être ce qui a pas été si bien perçu que ça.
Il y’a, à mon sens, une scène pivot dans Nisekoi, où le manga jette son intrigue à l’eau et bascule complètement de genre, c’est le chapitre 45, premier chapitre du tome 6.
Celui où, vous savez, Onodera demande à Raku si il peut l’embrasser et que, en fait, il a pas entendu parce qu’il s’était soudainement endormi.
Cette scène est l’épitomé du rebondissement débile pour le rebondissement débile. Il faut comprendre que le chapitre 44 se concluait sur la double page où Onodera demande à Raku de l’embrasser. Une double page doublement (!) importante: Onodera se jetait à l’eau et arrivait enfin à se confesser au héros et, tout aussi important, Chitoge entendait l’affaire. Donc le chapitre 45 allait devoir démêler deux rebondissements très importants: celui où Chitoge découvrait l’amour que Onodera porte à Raku et, surtout, comment Raku allait réagir à cette confession subite. Dans un magazine de prépublication, c’est le genre de rebondissement clé qui va accrocher les lecteurs et leur faire attendre le tome / magazine suivant avec énormément d’attention. Moi même je peux vous dire que j’étais passé à ce moment là à suivre la parution française et que l’attente entre tome 5 et tome 6, j’étais au méga taquet.
Mais dans les deux cas le chapitre 45 est une énorme déception: Raku n’entend pas pour l’explication la plus débile qui soit (il s’était endormi, wat) tandis que Chitoge n’a… finalement rien entendue tout court. C’est désamorcé ridiculement, et ce dans le plus grand des calmes, avec un jmenfoutisme désarmant.
Mais si je dis que c’est une scène pivot c’est parce que à partir de ce point, Nisekoi va également stopper de s’intéresser réellement à son intrigue. Comme si cet énième rebondissement avait épuisé la volonté et la motivation de Naoshi Komi et que cette quête de rendre l’intrigue centrale ne l’intéressait plus. Et on ne peut pas vraiment le blâmer: après ce double rebondissement mal géré, il allait être difficile de prendre vraiment au sérieux le moindre cliffhanger qui allait arriver à l’avenir. C’est comme l’histoire du garçon qui crie au loup, vous voyez ? A force de nous mettre des fins de chapitres ou de tomes qui sont désamorcés dès la première page suivante, le lecteur s’en fout. Il y’a une conscience de ça et à partir de là, donc, le rythme se calme largement et tout ce qui est clé / cadenas / cœur des héroïnes ça va vraiment plus être la priorité. Le manga va en reparler de temps en temps, évidemment, mais ça ne sera plus une obligation perpétuelle. Non, à la place Naoshi Komi va faire quelque chose dans lequel on le sent un peu plus à l’aise: de la comédie.
C’est pour ça que quand on me dit que Naoshi Komi « ne sait pas écrire de romances », je ris jaune.
Je vais le redire: que tu sois bon ou pas, écrire une bonne et longue série de romance n’est pas un exercice facile dans le monde du manga. Regardez les classiques du genre: soit ils sont courts (Video Girl Ai et Love Hina ne font pas plus d’une douzaine de tomes), soit ils durent mais les relations amoureuses avancent à un rythme très lent (Maison Ikkoku le héros et l’héroïne mettent SEPT ANS à se foutre ensemble et c’est considéré comme LE premier grand manga du genre), soit on fout juste le max de rebondissements à la gueule du lecteur quitte à utiliser les trois mêmes (salut Seo Koji), soit ils tiennent sur les gags plus que leur intrigue (salut To-Love Trouble.) C’est un vrai casse-tête, souvent incompatible avec l’idée même de poser une série dans un magazine pour la faire durer. Donc, oui, bien sûr que la romance dans Nisekoi elle n’avance pas. C’est une évidence. Et je comprends entièrement que ça soit frustrant et rageant parce que, très clairement, tu démarres la série avec la promesse d’une intrigue amoureuse dynamique aux enjeux multiples. Tu viens dans un magasin de burger, tu veux un burger, ok. Logique !
Mais le truc c’est que voilà, Naoshi Komi il a plus beaucoup de buns et de steak haché, du coup à la place il fait des warps au poulet. A partir de là t’as deux choix: soit tu fais le bébé cadum, tu tombes en rageant de ta chaise en pleurant et tu fais tout un tatouin en te roulant par terre et en exigeant des burgers à tout prix parce que t’es le client donc t’es roi, soit tu goûtes les warps au poulet et tu te rends compte que, eh gars, c’est meilleur que tes burgers, en fait.
Cette métaphore, subtile comme un 280, devrait suffire à résumer mon opinion sur la partie « comédie » de Nisekoi: je l’aime énormément.
La qualité principale de Nisekoi , à mon sens, c’est ses personnages. Quand j’ai débuté le manga, je ne supportais absolument pas l’archétype que représentait Chitoge, c’est à dire la fille à papa tsundere qui prend la mouche pour un rien. Et je pourrais comprendre aisément que, à l’inverse, Kosaki Onodera en énerve pas mal: des filles gentilles, mignonnes et maladroites on en a bouffé un certain paquet dans les mangas de ces quinze dernières années. Même Raku est un héros très archétypal, toujours gentil, toujours serviable mais incapable d’avoir les yeux en face des trous sur l’aspect romantique. On a un donc un trio très basique, qu’on ne suit que parce que jusque là l’intrigue va suffisamment vite pour que leur caractère déjà-vu ne soit pas un vrai problème.
Quand l’intrigue amoureuse va ralentir, alors derrière Komi va passer plus de temps à développer ses héros, et les résultats vont très vite se montrer. Dans le cas de Chitoge, par exemple, si elle restera très caractérielle, le fait qu’elle s’ouvrira à beaucoup plus de personnages va la rendre moins violente, moins agressive et beaucoup plus prompte à montrer ses bons côtés. Kosaki va se retrouver dans un duo avec sa copine Ruri, du coup si elle restera naïve et maladroite, elle va elle aussi s’ouvrir beaucoup plus à Raku et Chitoge, et par là même atténuer ses faiblesses, pendant que Ruri servira d’avatar au lecteur pour témoigner l’agaçement vis à vis de la « non avancée de la relation. » Et, surtout, tous les personnages vont devenir appréciables, car ils vont tous servir de base à des blagues. Tous. Il n’y a, dans Nisekoi, pas de personnages « protégés » ou « parfaits », tout le monde fait à l’occasion preuve d’idiotie (même Yui ou Ruri, les deux personnages les plus sérieux et terre-à-terre), ce qui est souvent la source de gags ou de situations amusantes.
Donc non seulement tous les personnages peuvent se révéler drôle, ce qui ajoute à leur aspect affable, mais en plus tout ce casting est développé, personne n’est oublié, tout le monde à le droit à ses chapitres un peu plus sérieux, où on va découvrir des nouvelles facettes: le meilleur exemple, par exemple, c’est Shûu, le copain-sidekick du héros. Là, encore une fois, on a un archétype ultra-classique: le pote pervers un peu relou qui fait toujours des vannes. Le personnage commence comme ça mais, très vite, on va le voir à l’occasion lâcher son masque pour balancer une ou deux bonnes phrases qui vont aider le héros à se sortir les doigts. Puis, encore plus tard, il aura le droit à son propre arc puisqu’on lui découvre un amour à sens unique pour la prof principale et qu’il va devoir se décider de comment il doit réagir à l’annonce de son départ. Ca se conclut sur sa confession, qu’il sait d’avance rejetée, mais qu’il veut faire sans regret. Ce n’est certes pas un arc rudement original ou extrêmement bien écrit mais c’est joli, c’est mignon, et ça contribue encore un peu plus à bâtir le personnage et à le sortir de son aspect unidimensionnel de base.
Un autre aspect qui participe à l’humour général, et qui contribue à donner aux personnages un peu de piquant c’est les reaction faces. Là on est vraiment dans le détail mais vous avez noté à quel point dans Nisekoi ça tire souvent des tronches hilarantes ? Il y’a une large palette d’expression, ce n’est jamais répétitif et ça n’épargne aucun personnage. C’est très vivant et ça aide à rendre le manga un poil plus mémorable que la moyenne. On sous-estime à quel point des bonnes réactions c’est l’épice qui peut rendre une comédie encore meilleure ! Bref, tout cela aide encore une fois à mieux apprécier les personnages qui, pour récapituler, sont attrayants, drôles, expressifs et en plus ont le bon goût d’être développés. Quitte à avoir une intrigue au second plan, c’était le point à ne pas louper, soyons certains.
En outre j’apprécie que Nisekoi évite de tomber dans le même piège que To Love et ne multiplie pas à l’excès son casting: un héros (Raku), quatre détentrices de clés (Kosaki, Chitoge, Marika, Yui), 4 ou 5 personnages secondaires d’importance (Tsugumi, Haru, Paula, Ruri, Shuu) et… c’est un peu tout. Le reste c’est beaucoup de personnages qui apparaissent de manière bien plus sporadiques ! En favorisant le développement des personnages déjà présents au lieu d’en créer des nouveaux tous les trois quarts d’heure, ça évite à l’auteur de trop s’éparpiller et ça crée ici le sentiment positif de suivre une vraie « bande de potes », à la Friends ou à la How I Met Your Mother. C’est vraiment agréable.
Après, on sent que plus le manga avance, plus Naoshi Komi expérimente des choses, parfois pas avec un énorme succès: l’arc du mariage de Marika, par exemple, est extrêmement long et abandonne la romance et la comédie pour proposer un contenu bien plus typique d’un magazine shonen, avec des bastons et une intrigue assez sérieuse. C’est un changement de rythme très étrange et que j’ai personnellement trouvé assez malvenu: ce n’est finalement pas pour ça qu’on lit Nisekoi ! L’arc en lui-même est un peu brouillon mais même avec d’excellents combats et des vrais twists, difficile de dire si ça aurait été malgré tout bien accueilli. Au Japon, en tout cas, l’arc a signé la fin de la série: à partir de ce point, Nisekoi n’a plus quitté le fond du sommaire alors que, au préalable, il s’était confortablement installé dans le ventre mou. Syndrome Fullbringer, en somme.
Mais sorti de quelques expérimentations, Nisekoi a tout de même trouvé très vite son rythme de croisière, et ce dès le tome 6: un arc de 3/4 chapitres au ton plus sérieux pour développer un personnage ou faire avancer l’intrigue, suivi ensuite de deux ou trois petits chapitres individuels bien plus légers qui seront surtout l’occasion de poser des gags autour, souvent, d’un personnage bien précis. Les chapitres individuels ont été très décriés de ce que j’ai pu voir sur les interwebz anglophones et j’ai même vu une idée bien pourrie fleurir de la part d’individus sans doute bien intentionnés: un listing des chapitres « fillers » qu’on peut « passer » car « l’intrigue n’avance pas dans ces chapitres là. »
C’est, évidemment, incroyablement stupide. A quel moment tu lis une comédie pour… zapper les chapitres avec de la comédie ? A quel moment tu lis un manga qui tient majoritairement sur ses personnages… et tu veux zapper les chapitres focalisé entièrement sur les personnages ? Plus inquiétant, à quel moment ta priorité principale quand tu lis une oeuvre c’est « gagner du temps » ? Et surtout… si tu te concentres que sur l’intrigue de Nisekoi, tu te concentrerais juste pas sur le plus gros point faible de l’oeuvre ? Pourquoi tenir à ce point à consommer ses oeuvres comme ça ? Ça me dépasse. Je trouve ça irrespectueux et digne d’un gros enfant gâté.
Enfin je raille l’intrigue de Nisekoi mais si je dois poser des éloges c’est sur la fin. Le tome final de Nisekoi je l’adore.
Pourtant sur le papier je devrais être d-é-g-o-u-t-é: Onodera et Raku se confessent enfin, mais Raku sait qu’il n’aime plus autant Onodera qu’avant, et part retrouver Chitoge pour lui déclarer son amour, elle aussi le fait, Chitoge part en Amérique juste après, elle est séparée de Raku pour les prochaines années, mais à la fin ils se marient et ils sont heureux, yay. En membre de la Team Onodera, je devrais être effondré 1
Mais… pas tant que ça. Parce que je trouve que c’est plutôt bien joué. Déjà en arrivant sur son arc final, Komi avait clairement pas une tâche facile: après 24 tomes de quiproquos et de rebondissements, il fallait résoudre le mystère de la clé et du cadenas de manière cohérente tout en gérant le fait que deux héroïnes étaient à fond sur le héros, héros lui-même à fond sur les deux. Dans ce genre de situation, on a souvent au mieux un choix arbitraire et inexplicable ou, au pire, une absence de réelle décision. Nisekoi évite les deux.
Pour être très clair, je trouve que faire en sorte que ce soit Onodera la détentrice de la bonne clé mais quand même faire en sorte que Raku « choisisse » Chitoge, c’est une vraie bonne idée car ça porte du coup un message assez limpide: le temps passe. Et avec lui les sentiments. Toute sa vie, Raku a rêvé d’une seule chose: devenir un bête fonctionnaire qui se marierait avec la « fille de la promesse. » Il s’était enfermé, dès très jeune, dans l’ambition d’une vie finalement morne et dictée par une certaine forme de destin. C’est l’existence de ce cadenas – et son manque de courage – qui l’a empêché d’aborder Onodera aussi bien durant le collège que durant son lycée. Il avait des sentiments clairs pour elle mais il s’est toujours dit « oui mais il y’a la fille de la promesse, aussi. » Quand il s’est avéré que Onodera et Chitoge pouvaient être la fille de la promesse, il a là aussi arrêté d’être ambitieux et de vouloir se confesser à l’une d’elle: il attendait, bêtement et passivement, que le cadenas « décide » pour lui.
Du coup je trouve le combo des chapitres 225 et 226 assez émouvants: Onodera se confesse enfin, les deux sont heureux par le fait qu’enfin ils sont sûrs que ces sentiments sont mutuels mais sont aussi triste car ils savent que… ils ne sont plus comme au début du récit. Le temps est passé et cet amour passif s’est érodé. Quand bien même Onodera est la fille de la promesse, quand bien même le destin les lient… cela n’a ici plus la moindre valeur. Ils ont tous deux laissés passer leur chance, et ils en ont lourdement conscience.
Et, écoutez, c’est mieux comme ça, et un message très clair pour tous: si vous avez des sentiments pour quelqu’un… ne passez pas votre temps à hésiter. Et au final, ils restent potes car finir en couple n’est pas une finalité et tu peux rester ami avec une personne envers qui tu avais des sentiments, ce n’est pas de la faiblesse, aww.
En vrai si y’a un point dans l’intrigue globale de Nisekoi qui me dérange c’est ce rapport constant des personnages au travail. Alors on est au Japon, c’est un pays ou culturellement ta carrière est au milieu de tout mais là c’est parfois un peu compliqué à tolérer. Tout l’arc autour de la mère de Chitoge qui est super-courageuse-d’autant-bosser, il est un peu regrettable et si il semble se terminer sur un moment feel good – elle a réussi à trouver du temps pour sa fille -, ça ne change absolument pas le personnage qui va continuer de se tuer au travail et négliger totalement sa vie personnelle. Et ça va même déteindre sur sa fille qui va préférer partir aux Etats-Unis bosser autant comme une malade au lieu de finir sa scolarité et profiter une dernière fois de ses amis et de son amour. Et Raku est récompensé à la fin en obtenant non pas le boulot de ses rêves mais en cumulant le boulot de ses rêves avec un boulot en plus, c’est à dire la direction du gang de son père. Tin, Chitoge et Raku ont pas interêt à avoir un gosse parce que celui-ci les verra jamais 2.
Enfin, bon, autre culture.
Je vais conclure en citant deux autres points positifs sur Nisekoi et après ça, on va remballer tout et laisser la série dans nos coeurs.
Le premier point c’est les couvertures. Enfin, le deux tiers des couvertures. En effet, Naoshi Komi détestait coloriser puis, finalement, a commencé à se prendre au jeu pendant la série. On commence donc avec des couvertures assez ternes, assez figées…
Puis à partir du tome 8 ou 9, Komi modifie ses techniques de colorisation ce qui, combiné à un changement progressif du chara-design, amène un nouveau style…
… Ce qui va amener vers des couvertures de plus en plus dynamiques, détaillées, colorées et attractives. La couverture du tome 18 est parmi une de couvertures favorites de tous les temps:
D’ailleurs je sais pas si vous avez remarqué cette sorte de troll majeur de la part de Komi mais Chitoge a beau être l’héroïne « principale », celle sur laquelle le Shonen Jump met le maximum d’attention – c’est elle qui représente la série dans tout le marketing, et c’est elle qui est mis en avant sur les couvertures du magazine ou dans le sommaire – , au contraire elle est très peu mise en avant… sur les couvertures du manga. Pire, quand on regarde les tranches, elle disparaît complètement à partir du tome 12 !
A partir du tome 9 (changement de colorisation), Chitoge a donc une tranche alors que Tsugumi, sa garde du corps, en a trois ! Et on ne parle pas de Marika qui squatte littéralement le dernier tiers. Pire: la sosie royale de Chitoge a, du coup, autant de tranches que Chitoge elle-même.
Dure d’être une héroïne si peu respectée.
Et donc là je vous montre fièrement mes tomes français parce que, pour le coup, je râle souvent sur Viz Média mais sur Nisekoi ils ont font un excellent travail. Big up au traducteur / adaptateur, Lilian Lebrun, qui arrive à rendre les dialogues vraiment naturels, savoureux et qui sait s’éclater dans les expressions quand, par exemple, Marika parle dans son patois de jeunesse. J’aurais aimé avoir des exemples à vous montrer mais je ne dispose pas de versions « clean » de ces dialogues et prendre en photo les pages de mes tomes avec mon appareil merdique aurait été vraiment en défaveur. Mais sachez juste que le patois de Marika m’a fait tellement délirer que je suis à peu près certain que c’est à ce moment que j’ai vraiment commencé à accrocher à Nisekoi, que je suis passé de « c’est sympa » à « j’aime vraiment beaucoup ce que je lis. »
Les détails, donc. Mais cette traduction est vraiment le second point positif que je voulais signaler.
Je pourrais ensuite aborder les deux spin-off sortis en France. Il y’a tout d’abord le recueil de nouvelles Nisekoi et autres histoires sentimentales qui contient, donc, le one-shot pilote de la série (radicalement différente, alors, avec une Onodera qui n’existe pas) mais aussi plein de nouvelles diverses et variées qu’a fait Komi dans sa jeunesse et, autant vous le dire, je trouve que c’est un auteur plutôt talentueux dans la création d’univers et de concepts curieux. J’aime ainsi beaucoup l’histoire nommée Island, avec deux jeunes enfants qui rêvent de parcourir le monde et qui vont découvrir une triste réalité. Tant que je suis dans les recommandations, Komi a sorti fin d’année dernière un autre one-shot, nommée Toki Doki. Allez le lire, ça fait 50 pages et c’est très touchant.
Quant à Magical Patissière Kosaki-chan c’est, disons le tout de suite, assez stupide et négligeable. J’ai bien aimé le lire car j’aime bien Onodera et j’aime bien le style de Taishi Tsutsui (qui est actuellement en train de bosser sur We Never Learn, manga qui adopte la route « romcom de potes » de Nisekoi, en misant encore plus sur l’humour) mais on voit que c’est là pour être un spin-off de série populaire et jamais être plus. Bon au moins y’a des tétés…
Voilà un peu tout ce que je pouvais dire de Nisekoi, donc. Ce fut 25 volumes, donc, qui ont pas mal rythmés trois années de ma vie. Comme je l’ai dit, ce n’est pas une série sans défauts mais je crois sincèrement que beaucoup de lecteurs mécontents ont mal compris l’oeuvre qu’ils avaient entre leurs mains. C’est plutôt dommage car en terme de comédie shonen feel good, Nisekoi est clairement le meilleur de ce que le genre a pu proposer ses dernières années. Surtout car son auteur semble beaucoup aimer les personnages qu’il met en scène, sait comment les utiliser et les respecter, et ça se ressent. Certains se plaignent que le manga dure trop longtemps ? Moi, à l’inverse, j’étais vraiment attristé une fois le manga terminé. Non pas à cause de la fin elle-même mais parce que je m’étais habitué à avoir rendez-vous, tous les deux mois en librairie, avec cette bande rigolote, auquel je me suis finalement vraiment attaché. J’en aurais aimé plus des petites histoires avec eux, des petits chapitres divers et variés. L’intrigue était devenue vraiment secondaire à mes yeux, et je pense vraiment que c’était pour le mieux.
J’ai aussi apprécié que le fanservice soit assez limité. Y’en a de temps en temps mais le manga repose pas dessus et atténue vraiment ça avec le temps. C’est une comédie romantique qui a une notion très pure de la romance. Ca rajoute un peu au fait qu’on se prend jamais vraiment la tête avec cette série et, dans ce monde très libidineux que peut être le shonen romcom, retrouver quelque chose de plus simple et moins graveleux est presque rafraîchissant. Pas que je déteste ça, au contraire, juste que parfois j’apprécie d’avoir quelque chose de plus… classique ?
Bref, merci pour le poisson, Nisekoi, tu auras été mal aimé et mal compris mais je pense qu’avec le temps tu sauras être ré-apprécié pour tes qualités que beaucoup continuent de te nier. En attendant, ceux qui t’aimaient auront bien interêt de se jeter sur We Never Learn, l’héritier spirituel encore plus feel-good <3~.
PS: Puis tant qu’on y est, lisez Double Arts. Quand on vous dit que Naoshi Komi a beaucoup de talent, on se base pas que sur ses très bons one-shots et sa direction d’un manga long fleuve comme Nisekoi, on pense aussi beaucoup à ce manga très prometteur mais qui nous a quitté trop vite.
3 commentaires
DocZoidberg
Comme d’habitude très agréable de te lire, surtout sur des sujet qui t’on tenus à coeur pendant si longtemps.
Je profite que tu parle de romance pour soulever un point qui me gêne dans pas mal de ces histoires avec un triangle amoureux ou plusieurs love interest ( et te demander ton avis au passage) : on ne vois quasiement jamais es laissé.e.s pour compte trouver quelqu’un d’autres. Alors oui généralement la mise en couple sonne la fin du mangas mais plus ça vas plus j’ai du mal à voie les autres perso faire le deuil de leur romance avec le héros et être montre comme dans une espèce de stase romantique. Par exemple dans Nisekoi, si j’me trompe pas, en 7 ans Onodera a pas évoluer de ce côté là. Du coup c’est maintenant exceptionnel que je me lance dans un harem/romance. Tu en pense quoi ?
Ginjou
C’est pas à moi que c’est demandé, mais je pense que dans ce genre de cas (les romcom harem), plutôt que de présenter un personnage qu’on a suivit voir adoré pendant des années (suffit de voir l’onodera ship / l’aya ship dans ichigo 100% sur internet pour comprendre le phénomène) avec un random nouveau personnage qu’on ne connait pas et dont on s’en fout, je pense que les auteurs préfèrent soit les mettre avec des personnages qu’on connait histoire d’être content pour eux, soit les montrer épanouit dans d’autres domaines afin de montrer justement qu’ils ont réussi à faire le deuil et qu’ils ne sont pas restés dans leur coin à se morfondre 🙂
Mais c’est vrai qu’en grandissant, je trouve aussi que les romcom harem moins intéressants 🙁
DocZoidberg
Oui j’en doute pas que ça ce justifie comme ça, mais je trouve que c’est un trope de romcom qui avec le temps deviens super horripilant, cette espèce de statut virginale de la ou les prétendant.e.s restant. Je vois pas pourquoi la vie de couple et leurs passions seraient incompatibles. Après ça doit dépendre aussi de la vision qu’à l’auteur du couple. Le dernier mangas que j’ai lus qui désamorcait pas mal ça c’etait Jitsu Wa Watachi Wa. Après ce sont des genres qui restent très codifiés ça changeras pas du jour au lendemain