Mangas & Animes

Mettre des mécaniques de RPG dans une oeuvre de fantasy, est-ce un aveu d’échec?

EXCITANTE QUESTION, J’AI HÂTE D’Y RÉPONDRE AVANT D’ÊTRE EN WEEK-END.

Car regardez autour de vous, prenez un planning de sorties d’animes ou de mangas et constatez que, ces dernières années, on bouffe de la fantasy et de l’isekai par camions entiers. Y’en a minimum un par saison, la majorité adaptés de light novel à succès, et tous rencontrent un succès minimum assez élevé. Genre je sais pas si vous vous souvenez de Death March, si c’est pas le cas c’est pas votre faute personne se souvient vraiment de Death March mais reste que ça avait été un des animes les plus vus sur Crunchyroll France durant janvier 2018. Parce que c’était un isekai. De fantasy. Avec des mécaniques de JRPG. Et que c’est populaire. A défaut d’être mémorable.

Moi quand je regarde sur MyAnimelist l’onglet « Popularity » d’une série de fantasy que j’aime pas et que je vois que c’est trois fois mieux classé que mes favs

Devant toute cette profusion d’œuvres, je vous propose donc un guide pour que, d’un seul coup d’oeil, vous puissiez déterminer de manière immédiate si votre anime ou manga ou de light novel de fantasy-avec-des-mécaniques-de-JRPG est de la merde ou pas, et pour ça on va prendre comme base la manière dont est gérée, justement, ces mécaniques de JRPG. Par mécaniques de JRPG j’entends:

  • Il y’a un système « de niveau » et « d’expérience », où quand le personnage tue un ennemi il gagne des « points d’expériences » et « monte de niveau »
  • Il peut y’avoir un système de « jobs » ou chaque personne a une seule et unique fonction, liée à son « job »: le « Guerrier » fera que de l’épée, « l’Archer » fera que de l’arc, la « Prêtresse » (c’est toujours une prêtresse) fera que du soin, etc etc.
  • Un personnage a des stats clairement explicites, qu’il peut consulter d’une façon comme d’une autre. Par exemple si il veut savoir à quel point il est fort, il a qu’à consulter ses stats pour voir un chiffre qui correspond à son niveau de force. Peu importe son corps, ses muscles ou son entraînement, si ses stats disent qu’il a 99 en force, il sera le plus fort. Ces stats peuvent évoluer avec le temps et l’expérience.
  • Il y’a un bestiaire archétypal, lié aux jeux à la Dragon Quest ou à Donjons & Dragons: Gobelins, dragons, orcs, slimes, lézards, etc etc.
  • Le Royaume il est gentil, l’Empire il est méchant (dans tous les cas, des systèmes démocratiques et républicains n’est pas à l’ordre du jour dans ce type de setting, y’aura toujours des rois et des seigneurs.)
  • Il y’a parfois des systèmes explicites de « quêtes », avec des bureaux spécialisés qui donnent des quêtes à remplir, qui amènent forcément des récompenses.
  • Possibilité d’existence d’une arbre de compétences: les personnages vont apprendre des coups ou des magies non pas par apprentissage mais par remplissage d’un sphérier.

(Je pose ça là pour les meilleurs souvenirs)

Donc là vous vous dites « ok c’est bien, mais c’est quoi le problème ? » Comme on va le voir, y’a tant de problèmes si c’est justifié, mais tâchons rapidement de résumer en trois points pourquoi cela est pas spécialement passionnant:

  • Déjà ça traduit une certaine paresse au niveau de la création d’univers, qui amène une problématique en terme d’originalité. En utilisant des mécaniques de JRPG comme les autres séries, tu rentres dans une sorte de grand moule. Quand il n’y avait que deux ou trois séries qui utilisent ces codes, ok, mais quand tu en as au moins une par saison et que la moitié des mangas populaires sur mangadex utilisent ces codes, on a un sentiment de gavage qui commence à se développer. Tout semble devenir interchangeable.
    D’autant que, en bonus, les inspirations de ces types d’univers sont souvent les mêmes: Donjons & Dragons, Wizardry, Dragon Quest ou même les MMORPG du début des années 2000 comme Everquest ou Ragnarok Online. Si les elfes sont blondes et plantureuses, y’a des chances que l’auteur kiffe Lodoss. Qui était, ça alors, l’adaptation d’une partie de Donjons & Dragons !

  • Chiffrer via des niveaux et des statistiques les « niveaux » des personnages est là aussi assez fainéant: si un personnage perd contre un autre, c’est parce que le vainqueur a tout simplement de meilleures stats. Un personnage peut apprendre de nouvelles techniques non pas par observation, par entraînement ou par apprentissage mais bêtement par remplissage d’un arbre de compétences, ce qui lui donne des pouvoirs qui peuvent arriver littéralement de nulle part. Un personnage peut devenir leader des autres non pas en raison de son charisme, de ses relations, de son évolution personnelle ou de son expérience concrète de la vie, mais juste parce qu’il est le plus balèze parce que les niveaux le disent. Ce qui est parfois juste une excuse pour des raccourcis scénaristiques.

  • Ce genre d’univers est surtout crée pour parler aux joueurs de JRPG ce qui, sur le papier, n’est pas forcément un souci. Seulement en visant avant tout ce public, il peut arriver que le créateur omette complètement de décrire le fonctionnement du monde et de l’univers, genre « vous connaissez ces mécaniques, elles sont dans les jeux auquel vous jouez, j’ai pas besoin d’expliquer du coup ça fait sens. » Non seulement ça a le risque de pas mal exclure les non joueurs mais aussi et surtout c’est pas mal de paresse, façon « je vais faire de l’heroic fantasy comme tout le monde comme ça j’aurais pas à me faire chier à créer de A à Z un vrai univers. » Est-ce de la fiction ou de la fanfiction à ce point ? Ca peut être trouble.

Sachant que au final le vrai problème est moins l’usage de ces codes que l’absence de justification à pour s’en servir. Tu peux utiliser des mécaniques narratifs pompés tout droit d’un autre média, mais dans ce cas là tu dois fournir une excuse scénaristique sur pourquoi ce monde utilise ces mécaniques qui sont ultra référencées et méga spécifiques. Sinon, bah, c’est de la flemme.

Gif traditionnel de Asuna qui a eu la flemme

Tout cela étant dit, passons à 6 cas de figure. Six cas ou une oeuvre utilise des mécaniques de JRPG. Est-ce que c’est bien ou mal ? Je suis là pour trancher, avec toute la subtilité et la capacité d’analyse qui me caractérise, la même qui m’a permis de déterminer avec aisance quels Pokémon font les meilleurs câlins.

Pour chaque cas de figure j’ai choisi un exemple, souvent le plus populaire. Evidemment, c’est non exhaustif !


Mon oeuvre de fantasy utilise des mécaniques de JRPG car les personnages évoluent clairement dans un jeu vidéo et tout le monde en est conscient: Sword Art Online

Pas de problèmes !

Le coup du « ils sont enfermés dans un jeu vidéo holala » c’est pas nouveau, évidemment: mon roman préféré quand j’étais ado c’était No Pasaran de Christian Lehmann et j’avoue avoir un plaisir coupable pour quand Bernard Werber me racontait ses parties de Civilization dans sa trilogie des dieux. En terme d’anime, avant Sword Art Online ou Log Horizon, on avait dot hack. C’est donc un genre populaire, efficace, clair. Et, surtout, les mécaniques de JRPG y sont légitimes: bah oui ils sont dans un MMORPG/JRPG donc bien sûr que ça fonctionne comme ça ! Tous les joueurs partent sur un pied d’égalité, savent comment le système fonctionne et voilà.

Le problème pourrait du coup être « y’a pas un peu trop d’histoires liées à des gens enfermés dans des jeux vidéo ? » mais en attendant, c’est pas un problème que les persos aient des mécaniques de JRPG dans un monde de JRPG. Zéro souci. C’est pas les mécaniques le problème. Vraiment. hack\sign et Log Horizon le prouvent également.


Mon oeuvre de fantasy utilise des mécaniques de JRPG car le monde en lui-même provient d’un jeu vidéo, et ce même si ses occupants ignorent ce fait: Overlord

Ok, ça passe !

Le cas de Overlord est plutôt explicite, celui ou un gars débarque dans un monde qu’il sait être virtuel, informatique ou issu d’un jeu vidéo, mais où par contre tous les personnages présents à l’intérieurs sont censés être des « PNJ » ou des « autochtones » qui ignorent clairement les origines vidéoludique de leur propre monde. Le fait, donc, qu’on y retrouve des stats, des items, des niveaux est justifié, même si la majorité des personnages ont aucune foutre idée de ce à quoi ça correspond vraiment, bah j’ai rien à dire. Quand dans Overlord, le héros sort un item « pété » car « acheté à la boutique in-game » et qu’il est le seul à savoir d’où ça vient, c’est accepté et acceptable parce qu’on sait que notre héros est l’un des seuls à connaître les origines de ce monde.

On peut aussi citer le cas de Alicization qui va encore plus loin dans le méta avec un Kirito qui maîtrise la magie parce qu’il sait lire l’anglais et les lignes de codes… et la magie dans ce monde c’est des lignes de code donc, eh. Puis on a Death March, qui se déroulerait dans le jeu qu’étais en train de réaliser le héros même si ok, réaliser un jeu ou tu peux avoir des tas d’esclaves de 11 ans, c’est un délire comme un autre.


Mon oeuvre de fantasy est très clairement inspiré de l’univers de nombreux JRPG mais ne semble pas utiliser explicitement des mécaniques de JRPG: Moi, quand je me réincarne en Slime

Ça dépend: ça dépasse ?

Là on peut commencer à douter et l’exemple de Slime me paraît probant car, en soit, il abuse pas de ces mécaniques: y’a pas de stats, y’a pas de niveau… Le seul souci est que le bestiaire est clairement le même que dans tous les RPG du monde (on pourrait faire un bingo) et que y’a un système de « compétences » qui s’acquiert en faisant des actions bien précises, compétences qui restent à vie au sein de leur porteur et peuvent leur permettre d’effectuer du jour au lendemain des actions qui leur était littéralement hors de portée auparavant. C’est UN élément précis d’emprunté. On pourra citer aussi Re:Zero qui emprunte UN élément (les points de sauvegarde.) Et puis, merde, j’adore Slayers mais c’est vrai que déjà tu sens les inspirations Donjons & Dragons à 300m, surtout au niveau des « jobs » des personnages. Puis je parle même pas de Gloutons & Dragons qui s’adresse spécifiquement à un public qui connaît à fond le bestiaire classique du JRPG puisque là le but est de voir comment cuisiner le dit bestiaire.

Du coup ok, ça dépendra de votre taux de tolérance dans ce cas précis.


Mon oeuvre de fantasy semble utiliser sans raison des mécaniques de JRPG mais en me spoilant un peu j’ai vu que y’avait peut-être une raison à ça plus tard dans le récit: Goblin Slayer

Bénéfice du doute, wesh

Bon, je pense que si je vous spoile gratos Goblin Slayer vous allez me mépriser mais en gros,

Spoiler

tout l’univers de Goblin Slayer se déroule dans une partie de jeu de rôles, d’où l’explication des bruits de jet de dé qu’on peut entendre de ci de là dans l’anime.

[collapse]

Dans ce cas là, ok, c’est justifié. Après c’est peut-être une piste qui menera à rien, ptet que l’auteur en fera que dalle, ptet que c’est juste une vague excuse pour justifier l’usage de codes vus et revus, ptet que c’est explicite depuis un bail et j’en sais rien parce que j’ai juste lu des spoilers le tome 1 m’a suffit mais, wesh, bénéfice du doute, y’a une tentative de justifier ou légitimer l’usage de ces codes, je vais pas tirer dans les plumes des oiseaux de bonne volonté.

Notez que c’est pas la seule oeuvre ou tu commences en te disant « wesh les codes je les connais » puis y’a un twist derrière qui justifient leur usage. Je peux pas forcément les citer sans les spoiler mais vous savez. Genre l’anime avec des noobs qui ont des jolis popotins lààà.


Mon oeuvre de fantasy nous fait suivre un héros qui est né et qui a grandi depuis le début dans un monde qui utilise des mécaniques de JRPG de manière inexpliquée: Danmachi

Un peu de flemme, non ?

On commence à arriver dans le cas où tu sens que l’auteur a beaucoup trop aimé ses séquences de farming dans Dragon Quest et s’en est servi de base pour créer son oeuvre. Dans Danmachi, on suit donc pas mal d’aventuriers avec des stats, des équipements qui donnent FOR+1, remplissent des quêtes, récupèrent du loot-qui-apparaît-comme-par-magie quand ils tuent des ennemis, etc etc.

Univers de JRPG, donc, mais ou personne ne sait qu’ils sont dans un JRPG. Qu’est-ce que vous voulez que je dise de plus si ce n’est que c’est un peu fainéant mais que ça peut s’auto-justifier par le fait que c’est un univers qui n’est pas lié au nôtre ? Tower of Druaga tentait la même approche mais avait au moins l’excuse d’être l’adaptation d’un vrai jeu, qui existe vraiment.


Mon oeuvre de fantasy me fait suivre un héros qui est un japonais normal projeté dans un monde d’héroic fantasy qui, comme par hasard, possède des mécaniques de JRPG alors que c’est clairement pas un monde issu d’un jeu vidéo: Rising of the Shield Hero

« Quelle indignité »

Points bonus en nullité si le héros fait dès les cinq premières minutes « OH C’EST COMME DANS UN JEU VIDEO :O. » Bah oui mon gars ton auteur il avait pas d’idées, il t’a projeté dans un monde parallèle qui COMME PAR HASARD fonctionne de la même façon que les jeux vidéo auquel il joue. Une chance sur combien de finir dans un monde construit exactement comme Ragnarok Online ? Heureusement qu’on sait que les héros de ce genre d’oeuvre sont des gros puceaux, sinon ils auraient été à 100% cocus vu leur chance !

Du coup l’exemple de cette saison bah c’est Rising of Shield Hero. Certains sont offensés par plein de soucis moraux liés à cette série (« je suis le héros j’achète une esclave et elle kiffe rester mon esclave parce que je la traite moins pire que les autres maîtres, yay le temps béni des colonies », « on est censé être dans un royaume matriarcal qui va mal mais on voit à l’écran que c’est un roi qui semble tout diriger » « toutes les femmes sont soit des vierges pures qui doivent être protégées par le héros soit des dévergondées machiavéliques qui doivent être tapées par le héros » « lol la meuf elle invente un viol kel salop xDDD » « le héros menace des marchands avec des monstres niveau 1 et c’est non seulement ridicule mais en plus c’est pas très sympa ») (damnit c’est une très longue Parenthèse Problématique) , moi mon problème c’est juste que ouais, le héros il tombe comme par hasard dans un monde d’heroic-fantasy qui fonctionne avec des niveaux, des points d’expériences, des monstres de niveau 1/5/10/whatev, il balance la phrase maudite « wah c’est comme dans un jeu vidéo » au bout de 10mn, et à ce moment là je savais que j’en avais déjà marre et que j’ai déjà vu et surtout lu ça beaucoup trop de fois :(.

Donc voilà la morale de cet article les amis, si vous voulez pas être original, ok, en soit y’a rien qui est vraiment original si on y pense. Si vous trouvez une idée cool et que vous voulez la réutiliser, ok, c’est votre rôle en temps qu’auteur de vous accaparer des idées pour y mettre votre personnalité. MAIS, POUR L’AMOUR DE DIEU, FAITES UN EFFORT, JUSTIFIEZ JUSTE VOS PUTAIN D’UNIVERS.

C’était Amo, je suis en week-end dans une heure et le mic est droppé.

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3 commentaires

  • DarkNeoWars

    L’interface JRPG de Rising of Shield Hero est justifié par le fait que le monde correspond a 3 jeux joué par les 3 autres héros que le protagoniste, et que dans ces jeux la classe bouclier est inutile a haut niveau.
    Et ça leur donne l’avantage de savoir où farmer contrairement au protagoniste, plus la connaissance du déroulement de l’histoire et eux pensent vraiment être dans un jv. Donc techniquement c’est justifié par l’histoire (et l’épisode 3 montre le contraste d’attitude entre les 2 groupes de héros ) après est-ce que ça suffira pour rendre l’histoire intéressante a long terme,c’est la question.

    Bon article sinon, même si son origine a l’air plus du a une overdose d’isekai 😀

  • zalilfalcam

    « Bonus : Les Héros PENSENT que ça va se passer comme dans un RPG et en fait c’est juste un autre monde de Fantasy, ils meurent en se battant contre des mobs et les survivants vivent dans des taudis, bienvenue dans Grimgar. »

  • Antonin BRAULT

    Je dirais que les œuvres de la première catégorie sont souvent critiquable car le jeux dont parle l’oeuvre est souvent rendu absurde pour les besoins du scénario.

    Par exemple, dans Hardcore Leveling Warrior, les capacités des joueurs semble en grande partie gouverné par le hasard, et ces dernières vont de pitoyable à complètement ridicule : du coup tu as un MMO qui a une forte composante PvP qui est parait il super populaire alors qu’une infime minorité des joueurs peut jouer à un jeu intéressant pendant que d’autre ont des métiers comme paysan ou coiffeur.

    D’une manière générale, je dirais que mettre dans un monde supposé réaliste des mécaniques dont le but était de simplifier le monde réel pour pouvoir jouer est quelque chose qui coûte au lecteur,et qui par conséquent doit apporter quelque chose de concret au scénario (d’une manière générale, je trouve que les mécaniques de JV ne sont pas géniales pour les histoires de fantasy banales, ce qui rend mauvais 95% des Isekais).

    Dans les bons exemples d’Isekai, je donnerais Order of the stick (parodie de donjons et dragon) et Erfworld (projeté dans un monde issu d’un jeu de stratégie en tour par tour). Et ces exemples sont bons car les composantes mécaniques permettent d’enrichir l’univers soit en ajoutant une touche comique soit parce que ça ajoute un caractère étrange à l’univers (les paradoxes temporels liés au caractère discret du temps d’Erfworld).

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