Mangas & Animes

Riamu ne s’aime pas beaucoup

Le confinement continue et c’est vrai que du coup je n’écris plus beaucoup, en effet j’ai pété mon rythme de sommeil, il aura suffit d’une dizaine de jours ! Alors pendant que j’essaie de retrouver des bonnes habitudes pour le mois qui reste tout en combattant d’étranges douleurs de gencives, essayons donc de reprendre un peu la main en la remettant sur le clavier, et je vais donc aujourd’hui vous parler…. d’idols fictives. D’une idol fictive en particulier, qui « marque » Internet depuis presque un an et qu’il me paraissait intéressant d’évoquer tant ce personnage témoigne de choses mine de rien pas inintéressantes.

Mais avant de parler de ce personnage, une piqûre de rappel: c’est quoi Idolmaster, déjà ?

Ici on poste des screenshots de la série de 2011 car rappel qu’elle: défonce

Remontons quinze ans dans le temps, allons dans les salles d’arcades japonaises où Namco décide d’introduire un nouveau jeu – nommé The Idolm@ster, justement – qui vous propose tout simplement de vous mettre dans la peau d’un producteur qui va se retrouver à devoir gérer une dizaine d’idols au sein d’une petite boîte de productions nommé 765Pro. Vous allez donc être chargé de leur entraînement à la danse et au chant, les aider à améliorer leurs stats, leur remonter le moral quand elles vont pas bien et avoir une petite phase de gameplay quand viendra les concerts.

Jeu étudié avec l’objectif de devenir un rendez-vous « quotidien » pour les joueurs d’arcade – qui enregistrent leurs progressions sur une carte qu’ils peuvent utiliser sur toutes les bornes de pays -, ça fonctionne pas trop mal en salles et une adaptation sur console arrive début janvier 2007… sur Xbox360. Souvent cité comme le jeu qui a réussi le miracle de vendre des Xbox360 dans l’archipel japonais (ce qui est factuellement inexact: y’a Gears of War aussi) (mais c’est tout), The Idolm@ster devient rapidement une franchise prometteuse au sein de chez Namco, une suite débarque, ne se limite plus à la 360 et à partir de ce point, le succès se fait tout seul ! Un animé très réussi dirigé par un ancien de la Gainax, un spin-off sur Nintendo DS, masse de concerts, de goodies, des CD qui se vendent chaque mois un peu plus et, surtout, l’arrivée dès fin 2011 d’un jeu mobile nommé Cinderella Girls.

Avec du recul, Cinderella Girls est un jeu pas mal précurseur puisqu’il s’agit du premier jeu mobile japonais d’importance qui va cumuler « jeu de rythme » et « collection de waifus », tapissant le chemin pour les Love Live ou les BanG Dream qui vont arriver derrière et, eux aussi, taper des millions de yens à rythme endiablé. C’est pas le premier mobage de rythme, pas le premier mobage de collection de waifus mais peut-être le premier à avoir une telle résonance, à avoir su trouver LA formule, bien aidé par le fait qu’il est porté par une franchise déjà pas mal installée.

Et donc voilà, Cinderella Girls existe toujours encore aujourd’hui ! Ca fonctionne toujours pas mal, la franchise Idolmaster reste forte quinze ans après sa création et cette force elle le doit à sa capacité à régulièrement injecter du « sang neuf » dans son casting. Ainsi, dans Cinderella Girls, nous avons régulièrement de nouveaux personnages qui apparaissent. Ces personnages, ils arrivent en pack via une méthode sans doute brevetée par Namco qu’on pourrait assimiler à « on en jette un maximum sur le mur, on voit ce qui colle. » Ainsi, un personnage qui apparaît dans Cinderella Girls n’aura au départ pas de doubleuse attitrée, et une personnalité pas forcément très développée. Mais une fois ce perso « ajouté », Namco va surveiller comment le public y réagit, va surveiller sa popularité dans le jeu, sur les réseaux sociaux, via des sondages de popularité… et dès qu’un personnage commencera à être considéré comme « suffisamment populaire », une doubleuse lui sera alors attitrée et un premier CD single à son nom va sortir.

Une pensée par exemple pour la pauvre Kiyomi Saejima, présente dans le jeu depuis 2014 mais toujours pas considérée comme suffisamment populaire pour avoir une doubleuse attitrée et un single. Son rêve est de devenir Premier Ministre du Japon, damnit !

Bref je vous parle de tout ça, je pourrais vous évoquer les élections annuelles, gigantesques concours de popularité où ça se bat et ça négocie à tous les coins – d’autant que la 9e élection démarre aujourd’hui – mais on est pas là pour ça ! Aujourd’hui on est là pour parler de YUMEMI RIAMU.

Regardez moi ces cheveux roses, cet air d’assurance peu assurée. C’est un perso que vous avez sans doute déjà vu passer dans votre timeline Twitter. Pourquoi ça ? Parce que c’est un perso populaire as fuck. Introduite dans l’univers de Cinderella Girls début janvier 2019, elle va terminer troisième de l’élection générale qui est organisée à peine deux mois plus tard, coiffant au poteau pas mal de personnages « vétérans. » Forte production de fanarts, forte production de memes autour d’elle, très rapidement elle a captée l’intérêt des gens. Mais alors, pourquoi ? C’est uniquement son look ? Non, parce que sa personnalité… est aussi très unique.

Mais avant de parler personnalité, parlons du look parce que juste celui-ci va en dire long sur à qui on va avoir affaire. Car Riamu est une adepte du Menhera. C’est quoi le Menhera me demanderez-vous car, peut-être que comme moi, l’aspect « culture de la mode » n’est pas votre spécialité dans votre passion pour le Japon ? Bon, alors, à la base, Menhera ça vient d’un terme anglais, en l’occurence mental heathler, qui était le mot à la mode sur le site 2ch pour décrire ces personnes qui ne se sentent pas bien psychologiquement mais qui se regroupaient sur le réseau pour essayer de partager, de communiquer leur malaise. Le mot peut avoir plusieurs consonances, aussi bien servir de signe d’appartenance à une « communauté » (« on est des Menhera, on va pas bien on le cache pas ») que de servir d’insulte par ceux qui en sont en dehors. Mais de tout ça a découlé une mode vestimentaire qui est du coup, le Menhera, et qui se propose de mélanger deux choses radicalement différentes: le kawaii et… l’esthétique de la souffrance psychologique ?

Personne portant un t-shirt Menhara

Couleurs pastels, mascottes mignonnes, style criard, à priori on est dans la mouvance de la mode « typique » de Harajuku, dans cette mode lolita tant aimé, sauf que rapidement si tu réfléchis deux secondes, que tu jettes un coup d’oeil aux détails ou que plus largement tu prends conscience de ce que tu « regardes », tu y remarques des choses… particulières. Par exemple, une surabondance de symboles médicaux (médicaments, croix rouge, seringues), des pansements sur des mascottes adorables, des lames de cutter qui traînent, et parfois un maquillage qui va accentuer les cernes des yeux, afin d’accentuer le sentiment de fatigue et de lassitude qui veut être transmis. C’est pas nouveau de voir au sein de la mode japonaise les codes du kawaii être détournés pour devenir sombres – y’a pas mal de mouvances comme le guro lolita, le yami kawaii ou le creepy cute qui en témoignent – mais on va dire que le Menhera est très spécifique. C’est le « mignon sali par la maladie. »

Ce n’est pas forcément la première fois que The Idolmaster part donc du côté de la mode « lolita » mais jusque là elle en était restée aux mouvances les plus connues et populaires – prenez Ranko, par exemple, qui était gothic lolita. Le fait de voir débarque une représentante du style Menhera est déjà un peu plus osé d’autant que, bah oui, si elle s’habille en Menhera elle a aussi l’état d’esprit du Menhera donc, oui, logiquement…

…Riamu ne s’aime pas beaucoup.

Riamu rêvasse sur sa bouée (fanart par kakaobataa)

Ça pourrait d’abord paraître étrange parce que pas mal de choses sont rigolotes dans sa biographie. Par exemple, dans The Idolmaster, vous avez dans chaque fiche de personnage les informations « classiques » que chaque idol donne – l’âge, le groupe sanguin, les fameuses mensurations (« Poitrine/Hanche/Bassin »), la taille, le poids. Bon là déjà ça commence à répondre de manière un peu décalée – Riamu a donc 19 ans, dit peser « le poids d’un tas de pomme », ses trois chiffres sont « Enorme/Moyen/Sans doute moyen » et sa ville de naissance est « un monde de paix. » Audacieux.

Puis quand elle s’introduit au joueur pour la première fois, elle va commencer à utiliser sa catchphrase qui est le mot « yamu » (les américains traduisent ça en « I’m sick« , on pourrait traduire ça en « J’suis une malade » j’imagine) et t’expliquer que même si elle semble en bonne santé, elle reste une ado au coeur de verre et qu’elle souhaite devenir idol et réussir… pour quitter les études. AUDACIEUX.

Atteindrez-vous un jour ce niveau d’émotion en voyant votre idol favorite ? (fanart de Kakitsubata Zero)

Et plus largement, à partir de ce point, le personnage commence à s’épaissir: on découvre qu’elle est méga fan des idols en règle générale, étant elle même ce qu’on nomme donc une wotagei, mais paradoxalement elle affiche constamment son mépris – voire sa haine -des autres wota. Mais, comme on va le voir, Riamu c’est avant tout un cumul ahurissant de contradictions donc, oui, son rêve c’est bien de devenir l’idol n°1 et d’être aimée par une communauté qu’elle a l’air de détester… mais dans lequel elle appartient.

D’ailleurs quand elle parle, elle va aussi lâcher pas mal de memes et de vocabulaires typiques de réseaux sociaux comme Twitter ou 2ch, sans parfois très bien juger la pertinence de ce vocabulaire dans le contexte où elle se trouve – elle peut ainsi te lâcher oklm un « Loli is justice » qui va faire grincer quelques dents du côté du fandom occidental de la franchise.

Et plus largement, tant qu’on est dans le côté wotaku, il lui arrive de tenir des propos typiques de fans d’idols très extrêmes – « on peut n’aimer qu’une seule idol », « il faut rester fidèle à celle que l’on choisit », « ton idol finira toujours par te décevoir. » D’ailleurs, Riamu elle même applique ses concepts à elle-même: elle sait que si elle devient idol, il y’aura un moment où les fans se mettront à la détester, donc elle veut juste profiter des « bons moments » du début.

Riamu est devenu la « mascotte » du dessinateur Takato96suke qui aime bien la mettre en train de chialer dans plein de situations très variées

Vous l’avez donc compris: ce qui est fascinant avec Riamu c’est qu’elle joue sur trois tableaux qui sont plus proches que ce qu’on pourrait croire.

Tout d’abord, on l’a vu, c’est une Menhera, et à ce titre elle n’hésite pas à crier et exhiber ses cicatrices mentales. Après, les interprétations autour du personnage – et du Menhera en général – peuvent être celles que vous en tirez. Par exemple, Riamu a t-elle vraiment des véritables souffrances mentales ? Son manque criant de confiance en soi, ses mauvaises habitudes sociales, son peu de foi en l’avenir, ses propos désabusés et sa recherche d’auto-destruction semble en témoigner ! Mais on peut aussi interpréter de toute cette situation une sorte de « grande exagération » par Riamu, où son besoin d’affection et son envie d’acceptation l’aura tellement dévorée qu’elle se sera créée cette « personnalité » de Menhera pour attirer l’attention. A partir de là c’est un cercle vicieux puisque c’est une personnalité qu’elle se doit alors de maintenir quitte à parfois se plonger dans de la dramatisation, voire faire de sa dépression une partie « intégrante » de son personnage. Dans tous les cas, son peu de confiance en elle est indéniable, et c’est une jeune femme qui se cherche.

Après, dans tous les cas, chacun sa manière de gérer ses sentiments dépressifs ! D’autant que si on met ça dans ce contexte très particulier qu’est celui du Japon, où les maladies mentales ne sont pas forcément très bien comprises ni même très bien accueillies dans un pays qui tient à mettre en avant la toute-puissance du collectif sur celui de l’individu, alors le personnage de Riamu a quand même un rôle à jouer sur la question et un propos inédit à amener dans une des plus grosses franchises musicales du pays.

(Note: un aspect biographique semble indique que Riamu vit seule, sa grande soeur étant parti vivre aux Etats-Unis et ses parents étant atteints du syndrome « on bosse à l’étranger », donc elle doit aussi gérer tout ça seule.) (Est-ce que son sentiment de « solitude » est pas né de ça ?)

Sur sa seconde SSR de Starlight Stage, Riamu n’est pas forcément très motivée à se lever

Ensuite, second tableau… et il est un peu lié au premier: c’est une user « typique » de sites comme reddit, 2ch, 4chan, Twitter… Sa personnalité semble composée de « memes » et de phrases « pré-machées » qu’elle a appris au sein de sa « communauté », « communauté » qu’elle aime autant qu’elle méprise. Communauté qui lui a aussi appris énormément d’idées mine de rien assez toxiques sur le monde qu’elle entoure et sur ses passions. Cette toxicité, ça a contribué à briser un peu son mental, et à considérer que si quelque chose n’est pas de la merde ça va forcément le devenir l’a aussi impactée – elle se voit elle même soit comme de la merde, soit comme quelque chose qui va forcément en devenir. Y’a même des fois où elle dit des choses qu’elle sait craignos juste pour faire polémiquer et attirer l’attention, et ça mes amis, c’est un comportement assez classique sur Internet.

Donc, yep, honnêtement c’est l’aspect le plus passionnant dans la construction de la personnalité de Riamu car finalement elle résume bien les idées cyniques, voire noires, de réseaux comme 4chan ou 2ch, qui sont des réseaux qui passent leur temps… à se détester eux-mêmes. Même le plus grand fan de 4chan vous dira que 4chan c’est de la merde car c’est presque devenu le motto du site. C’est des sites qui se sont créées des communautés de personnes qui sont quasiment devenues fières de ne plus « rien valoir. » Plus même une personne, juste devenu un « anonyme » de plus dans le grand ensemble, à dire tout ce qui passe par la tête, à tailler et se faire tailler des costards par le premier autre anonyme venu. Riamu c’est ça – on sent qu’elle a passée trop de temps sur Internet à tacler des inconnus sur des forums mais qu’elle s’est faite aussi énormément taclée, au point que aujourd’hui, pour elle, il est acquis mentalement que, quoi qu’elle fasse, elle va se manger un tacle. Alors, comme elle dit, elle profite du moment « où les gens l’aiment bien » parce qu’elle sait que ça va pas durer, que viendra au moment où ceux qui crieront son nom la tacleront. Parce qu’on l’a toujours taclé quand elle a fait quelque chose, pourquoi ça changerait ?

Fanart très serious business de Riamu par omaru09

Et bref le troisième tableau… c’est que Riamu semble aussi jouer sur la parodie noire et transparente du monde des idols. La preuve en est, son single, Otahen Anthem, dont on a eu un extrait sorti il y’a peu. Un utilisateur Twitter a traduit en anglais les paroles et elles sont… euh… assez parlantes sur ce « qu’est » Riamu.

Et beh par où commencer ?

En 1mn44, on a entre autres Riamu qui dit à son public « je vous ai amené votre nourriture favorite » (note du narrateur: ça fait sans doute référence à elle) même public que quelques lignes plus tard elle traite « de chiens » juste bons à dire « I Love You » mais heureusement elle précise que « hahaha je rigole. » Dans la même minute elle dit aux fans de rester fidèle à leur idol favorite (notons l’usage du terme spécialisé « oshi » qui est censée désigner « ta » favorite dans un groupe d’idol) puis de dire derrière que « l’infidélité est absolue. » Elle embraie sur le fait qu’elle fait ce qu’on attend d’elle – faire des jolies poses, avoir l’air mignonne. Oh, et puis un peu plus tôt, Riamu signale qu’elle veut juste des human rights, hum je me demande ce qu’elle veut dire via ce mystérieux terme…

N’oublions pas d’ailleurs de parler du refrain qui est mon moment favori puisqu’il reprends le refrain d’un des thèmes principal du jeu, Onegai Cinderella, refrain qu’il parodie allégrement en modifiant un chouia les paroles – originellement la chanson dit « s’il te plaît, Cinderella ,ne laisse pas le rêve n’en rester qu’un », là la « version » de Riamu dis « s’il te plaît, crève, le rêve ne peut être qu’un rêve. »

Donc ouais, rajoutons ça au contexte principal qui est l’industrie des idols et vous avez un truc un peu énervé. Mais comme c’est Riamu, à quel degré le prendre ? Est-ce un vrai exutoire de ses frustrations d’être un pion interchangeable dans une industrie du divertissement parfois cruelle, qui te nie justement tes droits fondamentaux pour plaire à des fans aux principes rétrogrades, cruels ? Ou bien est-ce juste Riamu qui fait une chanson auto-dépriciative pour toucher un public de wota auto-dépriaciatifs, qui eux savent les rouages de l’industrie, mais savent en rire jaune ? Là aussi, tout est libre à interprétation.

Riamu prisonnière d’un jeu de hasard un peu truqué (fanart de roki)

Donc voilà, je voulais juste écrire un peu sur l’aspect fascinant du personnage de Riamu. J’ignore à quel point ce personnage a été « pensé » par les créateurs, si ils savaient d’emblée où aller avec ce petit troll rose et maladroit qui a fait de son mal-être son style de vie. Mais il détonne, et dans un sens ça s’explique par ce sentiment de se retrouver dans ce personnage. Ce comportement parfois problématique, très maladroit, cette envie constante d’attention tout en ayant fondamentalement peur du contact humain… Y’a un côté étrangement « réel. » J’ai l’impression d’avoir été comme Riamu à une période de ma vie, et alors que je devrais détester ce personnage pour me rappeler des moments honteux, au contraire je le trouve fun et attachant ? Étrange, mais pas inattendu.

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