Mangas & Animes

Y’a t-il trop d’animés ?

Il titre son article avec une question polémique et offre une réponse à la normande qui va frustrer tous ses lecteurs, en plus d’y rajouter masse de digressions un peu insupportables: bienvenue sur Néant Vert et, surtout, bienvenue sur un billet d’opinion de Néant Vert !

Non en vrai, salut, c’est moi Amo je suis de près « l’actu » animé depuis maintenant quinze ans et c’est vrai que ces dernières années je n’ai pu que constater en même temps que plein d’autres observateurs que ouais le milieu de l’animation japonaise il semble gonfler et il produit beaucoup de séries. Voilà c’est comme ça, c’est une remarque qu’on se fait. Chaque saison amène son lot de nouvelles productions, et on a le sentiment que y’en a de plus en plus. D’où un sentiment que je vois partagé par de plus en plus de monde, et que moi-même je commence à vivre, c’est ce sentiment un peu de gavage parce que, eh, y’a trop d’animés peut-être.

Bon déjà avant de commencer, j’ai voulu quantifier la production d’animés et mettre des chiffres sur ce dont on va discuter. Et tant qu’à faire j’ai aussi voulu essayer de visualiser une tendance « historique » donc je suis remonté jusqu’à 2001 et j’ai regardé toutes les saisons de printemps, tous les cinq ans. Du coup j’ai ça:

Par « démarrés plus tôt », cela signifie évidemment les séries « longues » qui ont commencés durant des saisons précédentes mais qui sont toujours produites et diffusées durant la saison concernée. Exemple: One Piece a commencé en 1999, a continué sa diffusion chaque saison de printemps et donc entre dans la catégorie orange des graphiques.

On ne compte également que les séries télévisées, j’ai choisi de mettre de côté les films et les OAV, par exemple. Ah, et toutes les séries télévisées rentrent en compte, ce qui inclut aussi les séries au format court.

Mais dans tous les cas, oui, il semblerait qu’on ait aujourd’hui plus d’animes qu’il y’a vingt ans mais que, ça alors, l’année 2006 ait été beaucoup plus chargée, avec pile 100 animés diffusés durant cette saison en particulier. Donc juste en regardant ça on pourrait se dire que, woah, y’a finalement moins d’animés produits aujourd’hui que y’a quinze ans.

SAUF QUE Y’A UN TWIST. Et voilà le twist sous forme graphique:

Ici j’ai pris le nombre total d’animés démarrés chaque année, en rajoutant là aussi une catégorie pour les animés qui continuaient depuis plus longtemps. Sachant que 2021 n’est pas encore (hélàs) une année terminée, j’ai préféré prendre 2019 en point de comparaison (et pas 2020 car, vous vous en doutez, ce fut une année particulière en terme de production, à cause de la pandémie) mais quand même mettre le début 2021 pour essayer d’esquisser un genre de tendance – même si, encore une fois, la première moitié 2021 a vu pas mal d’animés initialement prévus pour la seconde moitié 2020 débouler, c’est par exemple la première fois qu’une saison d’hiver a plus de nouveaux animés qu’une saison de printemps, ce qui est à prendre en compte.

Et là du coup si on peut effectivement constater que le printemps 2006 fut particulièrement généreux, il est surtout le symbole d’une période où l’animation japonaise s’excitait surtout à chaque printemps et, dans une moindre mesure, à chaque automne. Où l’hiver et l’été étaient considérés comme des « saisons creuses », où peu de nouveautés étaient produites et diffusées. Car en réalité la tendance concrète qui s’est affirmée ces dernières années – et l’année 2016 et ses groupes colorés plutôt égaux en est une belle preuve – c’est qu’aujourd’hui on a beaucoup d’animés mais qu’ils sont, par rapport à avant, beaucoup plus tassés dans l’année, et plus uniquement concentrés autour d’avril et d’octobre. Avant, on avait beaucoup d’animés deux fois par an. Aujourd’hui on a beaucoup d’animés quatre fois par an.

Cela s’explique aussi par le fait que plus les années passent, plus les séries sont courtes. Si avant une série qui démarrait au printemps avait de bonnes chances de durer jusqu’à l’automne (format 2 cours / 24 ou 26 épisodes) voire même jusqu’au printemps suivant (format 4 courts / 49 à 52 épisodes), ces derniers temps la tendance est beaucoup plus aux séries en un cour de 12 ou 13 épisodes, qui sont aussitôt remplacés dès la saison suivante par une nouvelle série, qui elle même laissera la place à une autre trois mois plus tard, et caetera.

Maintenant cela n’empêche pas qu’on peut voir une petite chute sur l’année 2019 par rapport à 2016, qui fait que finalement l’écart entre 2019 et 2006 n’est pas si large que cela, et qu’on y retrouve un nombre finalement très proches d’animés produits et diffusés. Ce qui tend à faire penser que peut-être que la situation a pas tant changée que ça et qu’on s’est toujours noyé sous les animés, au final ?

Après, il faut quand même remarquer que 2006 fut une année remarquable sous énormément d’aspects, et que les années qui ont suivies furent moins placées sous le signe de la méga-production.

Graphique du nombre d’animés diffusés chaque année entre 2006 et 2011

La crise économique mondiale n’aidant sans doute pas, on avait pu assister sur la fin de la décennie des années 2000 à une légère érosion de la production de séries télévisées animées, avant un retour en 2011, dans une année où le Japon a pourtant subi une des pires catastrophes de son histoire.

Et du coup c’est sans compter le fait que, finalement, à l’époque, c’était plus difficile d’être au courant de tout ce qui était produit: les simulcats étaient absents et si l’on voulait suivre une saison « en direct », c’était par le biais des groupes de fansubs, des channels IRC, des forums ou des sites d’actualité, qui sont des intermédiaires qui forment déjà une sélection à la base. Si 10% d’une saison sortait en DVD chez les éditeurs, c’était déjà un grand luxe. On était donc pas forcément conscient de la moitié des animés d’une saison, alors qu’aujourd’hui prêt de 80 voire 90% de la production nous parvient instantanément traduite chez les différents simulcasteurs, donc on peut savoir facilement et rapidement tout ce qui est produit, et il est difficile d’y échapper. Je veux dire, le CM de Wakanim semble désormais se sentir obligé de ne jamais évoquer certaines séries de son catalogue sur les réseaux sociaux pour nous permettre de pas nous sentir trop noyés, il pense à nous et à notre charge mentale, c’est bienvenu !!!!

Quand Wakanim a encore oublié de parler de Dynazenon aujourd’hui….

Bref blague à part, là où on en 2006 on avait pas forcément conscience de tout ce qui pouvait être produit par le Japon, bah en 2019 où en 2021 on sait beaucoup mieux le quantifier, d’où ce sentiment paradoxal qu’on ressent à se dire « wah y’a trop d’animés de produits » alors que finalement y’a eu des périodes plus actives par le passé.

Mais bon on va pas se mentir: c’est aussi parce que plus les années passent, plus on est conscient des conditions de travail au sein de cette industrie. Et qu’on sait que cette surproduction est aujourd’hui extrêmement nocive sous pas mal d’aspects.

(L’occasion de rappeler l’existence de Shirobako si vous cherchez une série animée qui parle de comment on fait des séries animées)

Je l’avais évoqué en 2017 dans mon article sur les « idées reçues » autour de l’animation mais globalement on a aujourd’hui une pénurie de main d’œuvre au sein de l’industrie. Il y’a beaucoup de projets en parallèle, ces projets nécessitent tous beaucoup d’animateurs, d’intervallistes et de petites mains diverses et variées qui seront, si possible, tous des freelancers, ce statut magique sur lequel on pourra appliquer des interprétations plutôt larges du code du travail et payer au lance-pierre tout en surchargeant la gueule de taf. Et, ça alors, il semblerait que tout cela n’attire plus trop les foules ! Beaucoup d’animateurs sont sortis dégoutés partir à la recherche d’un boulot qui se résumera pas à se casser le dos pour crever la dalle, et globalement l’attrait du métier est au point mort. Les studios se retrouvent de plus en plus à mendier sur Twitter et pourquoi pas essayer d’attirer des animateurs étrangers pour faire les tâches ingrates. Animateurs étrangers qui ne sont pas forcément obligés d’être majeurs, d’ailleurs, mais ça c’est un autre délire.

Vous vous poserez peut-être derrière une question un peu candide à base de « mais comment ça se fait que les travailleurs de cette industrie soient si mal payés et si mal traités alors que cette même industrie bat chaque année des records de profits ? » mais comme on est en 2021 je pense que vous savez déjà quelle est la réponse, car vous n’êtes certainement plus suffisamment dupe au point de croire en la théorie magique du ruissellement de l’argent – l’argent il est coincé. Surtout que le système actuel de l’animation japonaise, le fameux système dit des « comités de production », est un système qui fait gagner finalement peu d’argent aux studios car les profits sont partagés soigneusement entre les différents membres ayant investis dans le projet, souvent des maisons de disque des maisons d’éditions ou des canaux de diffusion, et si le studio n’avait pas investi à la base, et bien du succès d’un animé il n’en touchera pécuniairement pas grand chose.

Exemple tout con: Uma Musume saison 2 bat à l’heure actuel tous les records de vente de BluRay (160 000 exemplaires vendus en deux semaines, ce qui est un record absolu pour un premier tirage, aucun animé ne s’est mieux vendu que ça) mais comme le studio Kai n’est pas au comité de production, on est nombreux à suspecter (car on ne connaît évidemment pas les termes financiers précis, forcément) que le studio ne bénéficiera pas vraiment de ce succès en terme de profits. Et c’est un peu triste !

Quand tu n’as pas le droit à la uma money

Alors du coup nous voilà en 2021 avec un système qui exploite les artistes, abuse du statut particulier de freelancer, et où l’argent circule de telle manière à ce que les studios puissent difficilement faire autrement. Des situations alternatives existent mais elles ont été le fruits d’efforts mûrement réfléchis et développés sur plusieurs années voire décennies.

Prenons l’exemple très connu de Kyoto Animation, où la majorité des artistes y sont salariés, bénéficient donc de tous les atouts en plus d’un rythme de travail paraît-il extrêmement sain vis à vis du respect des horaires légaux, qui sont respectés à la minute près. Kyoto Animation qui est en plus un studio quasiment autonome aujourd’hui, qui a pu s’extirper du système des comités de production pour les contrôler et avoir la main créative sur la majorité des adaptations qu’elle dirige, adaptations qui concernent désormais bien souvent des romans sur lequel le studio a les droits. Un studio qui a donc su prouver qu’il pouvait être autonome, profitable, posant une relation saine avec ses artistes, privilégiant le salariat, réduisant les heures de travail par rapport au reste de l’industrie… et quand même produire de manière régulière des chefs d’oeuvres excellemment bien produits tels que Liz, Silent Voice ou Violet Evergarden. Bref, une sorte de paradis créatif, même si il ne faut hélas pas oublier que ça a été un paradis blessé au vif par le drame qu’ils ont connus en juillet 2019.

Liz et l’oiseau bleu (Kyoto Animation, 2018)

Pourtant, cette autonomie et cette indépendance qui a permis à Kyoto Animation et à ses salariés d’être un des modèles à suivre au sein de l’industrie, c’est quelque chose qui a mis du temps à être obtenu, qui ne s’est pas fait en un claquement de doigt. En gros, Kyoto Animation bénéficie surtout du fait d’avoir été une entreprise dirigée, depuis les années 80, par des personnes qui avaient un plan à long terme et qui ont profités de chaque succès sur leur route pour y parvenir. Ils ont montrés – comme d’autres studios du genre Ghibli (fondé par des ex-syndicalistes de la Toei) – une alternative, ils ont montrés que ça pouvait marcher, nous on se demande pourquoi les autres studios essayeraient pas de copier ce modèle qui fait ses preuves mais, malheureusement, je suspecte que les autres studios c’est pas qu’ils veulent pas fonctionner comme Kyoto Animation, c’est que peut-être… qu’ils ne peuvent pas ? Soit parce qu’ils sont dirigés par des personnes qui n’ont clairement pas ces ambitions ou qui n’ont pas les compétences pour les poursuivre, soit parce le système actuel, encore une fois, les asphyxie et les empêche de pouvoir être réellement autonome et indépendant ? Quand tu touches qu’une part infime des profits sur n’importe quel animé que tu réalises, peut-tu vraiment investir, te développer et envisager de te KyoAniser à court ou moyen terme ? Eh.

Je pense par exemple à PA Works qui y’a deux ou trois ans expliquait avoir commencé à salarier chez ses animateurs, mais la démarche avait été un peu moquée sur Internet à cause du salaire des animateurs qui était… particulièrement faiblard. Genre salaire minimum de chez minimum, au point où certains animateurs y perdaient en salaire brut à passer de freelancer à salarié. Sans connaître la trésorerie de ce studio, on était nombreux à se demander pourquoi ils radinaient autant mais peut-être que c’était… tout ce qu’ils pouvaient faire ?

Après loin de moi l’idée d’envisager que tous les studios sont forcément bien intentionnés, je pense que y’a aussi des studios qui sont bien contents de juste être des sortes d’agence d’interim qui prennent juste le max d’animateurs, les sous paient au max, et prennent les lauriers et les petits profits qui passent pour se mettre bien, surtout quand il s’agit d’aller récupérer de la bonne soupe chez les très très gros éditeurs. Genre MAPPA, par exemple, plus ça va et moins je suis vraiment convaincu qu’ils ont vraiment l’intérêt de leurs travailleurs en tête au moment de se dire qu’ils vont récupérer un cinquième ou sixième blockbuster pour l’année qui arrive alors que l’année qui précède tous les projets se sont manifestement finis dans le sang, la douleur et le dégoût. Je veux dire, la production de L’Attaque des Titans Final Season a été un désastre, au point qu’un animateur japonais est allé dénoncer ça publiquement sur les réseaux sociaux, ce qui est mine de rien pas si fréquent.

Le répertoire à meme a Twitter: "On fait acte de présence rien de plus ( Attaque des Titans snk) meme… "
Le droit du travail sur la prod de l’Attaque des Titans

C’est dommage car, en vrai, 50 nouveaux animés par saison ça serait peut-être pas si « problématique » si le système de production était sain. Le souci c’est qu’il l’est pas vraiment. Et quelque part c’est dommage car cette grande quantité d’œuvres permet quelque chose qui fait malgré tout la force de cette industrie: une grande variété de contenu et de séries. Je veux dire, prenons cette saison de printemps 2021 on y retrouve entre autres:

  • Un thriller politique intense ou des soldats de l’ombre protègent leur pays dans l’anonymat le plus combat, sous fond de racisme institutionnalisé (86 EIGHTY SIX)
  • Un animé parlant d’une équipe de gymnastes et leur pratique de ce sport délicat, qui mêle performance physique et athlétique (Bakuten)
  • Des JO… dans l’ESPACE ! (Battle Athletess Daiundoukai ReSTART)
  • Vous connaissez le Kabbadi, ce sport indien ? Y’a un animé sur une équipe de Kabbadi. (Burning Kabbadi)
  • L’histoire d’un esclave gladiateur tentant de trouver la liberté en remportant 100 combats (Cestvs)
  • Un dragon plutôt timide et déshérité par sa famille à cause d’une sale histoire d’oeuf parcourt le monde à la recherche de l’endroit parfait où s’installer, un architecte de génie lui servant de compagnon (Jeune Dragon recherche Appartement ou Donjon)
  • Dans un Japon uchronique où l’ère Meiji ne s’est jamais stoppée, une jeune femme part à la recherche des assassins de sa famille (Jouran The Princess of Snow and Blood)
  • Des jeunes lycéennes apprennent la poterie. En plus comme elles vivent dans un des berceaux de la poterie japonaise, elles apprenent plein de trucs, c’est cool (Let’s Make a Mug)
  • Dans un univers futuriste sombre et divisé, on suit le come-back d’une légende… de la boxe mécanique. Mais après sept années d’absence, cette légende est dans un bien sale état. Trouvera t-elle comment se relever ? (NOMAD: Megalo Box 2)
  • Les rencontres d’un morse chauffeur de taxi avec une ribambelle de clients réguliers tous aussi hauts en couleur sles uns que les autres. (ODD TAXI)
  • Une collégienne rejoint un club « de jolis détectives » (dont le président est en… CM2 ?) et part élucider des mystères… très abusés (Pretty Boy Detective Club)
  • Enfermées dans un mystérieux manoir, des poupées de chair doivent s’entraîner à devenir des « visages » parfaits pour leurs maîtres et maîtresses, des ombres… au sens propre du terme. (Shadows House)
  • Dans une série hommage aux codes du tokusatsu, on suit les aventures d’un gang de héros devant défendre leur ville contre des monstres contrôlés par des ennemis aux motivations… floues. Pas mal de traumatismes lancinants. (SSSS Dynazenon)
  • Une jeune fille fermée et solitaire s’ouvre au reste du monde grâce…. à sa moto. (Super Cub)
  • Enfermé au sein de Shibuya, un jeune garçon capable de lire dans les pensées et de voir des monstres habituellement invisibles participe à un étrange jeu qui, pendant une semaine, va l’obliger à respecter un certain nombre de missions… (The World Ends With You)
  • Alors que son grand-père, légende du shamisen, vient de s’éteindre, un jeune homme se retrouve à douter de ses propres talents au shamisen et sur comment s’approprier cet instrument. Et c’est en rejoignant un club au sein de son lycée qu’il va commencer à trouver des élements de réponse (Those Snow White Notes)
  • Un Immortel parcourt le monde, prenant différentes formes, rencontrant de nombreuses situations et personnes qui vont lui permettre de comprendre un peu plus cette étrange notion qu’est celle d’humanité (To Your Eternity)
  • Une androïde autonome à la base programmée pour chanter se retrouve être la clé pour sauver l’humanité de la révolution sanglante des IA… qui aura pourtant lieu que 100 ans plus tard. On va donc la suivre à travers ce siècle et voir comment ses actions peuvent empêcher le sang de couler. (Vivy Fluorite Eye’s Song)
  • Des idols zombies essaient de rembourser une dette, de devenir célèbres, de redorer le blason de leur préfecture et de cacher leurs identités, et tout ça en même temps ! (Zombieland Saga Revenge)
Quand tu regardes ton planning pour voir si tu peux libérer de la place pour tout mater (Super Cub)

Voilà un peu pour la liste non exhaustive où j’ai essayé, en somme, de me cantonner à tous ces pitchs et ces univers qui paraissent originaux, voire uniques à l’animation japonaise. Vous me ferez remarquer que ça ne veut pas forcément dire que ces séries sont toutes bonnes – et ce n’est effectivement pas le cas, y’a quelques trucs un peu en déça du reste dans cette liste – mais ce que je veux surtout mettre en avant est que l’animation japonaise, parce qu’elle produit beaucoup, produit aussi beaucoup de trucs originaux et unique. Quelque part, qui que vous soyez et quoi que vous cherchez, l’animation japonaise aura un truc à vous donner. Et à l’inverse, y’aura certainement beaucoup de choses qui vous feront pas envie ou vous parleront pas vraiment, c’est normal ! Beaucoup d’animés n’ont pas si peur que ça de parler à une niche très spécifique. Y’a encore ce luxe, parfois, de se dire « allez nique 3/4 du public, on va faire une série sur des lycéennes qui apprennent la poterie, ça intéressera qu’une partie minime des spectateurs mais ceux que ça intéressera, on va essayer de les faire kiffer. »

Donc quelque part quand les gens disent « ouais y’a trop d’animés il en faudrait moins », y’a quand même un peu ce truc au fond de moi où je me dis que ouais mais si y’a moins d’animé, est-ce que c’est pas ces séries de niches qui vont sauter en premier ? Parce que fatalement, ce qui resterait ce serait sans doute que les animés calibrés pour « réussir », pour parler au public le plus large possible. Ces animés qui ne prendront pas beaucoup de risques. Un peu comme l’est devenu le milieu du blockbuster hollywoodien ou des jeux AAA dans le monde du jeu vidéo, des milieux où tout est pensé, calibré, réfléchi pour plaire au maximum de gens possibles afin de ne pas ruiner les profits et bénéfices de projets aux coûts de production pharaoniques. Donc là dans le cas de l’animation japonaise, on produirait ptet moins de projets originaux (dans le sens « qui ne sont pas des adaptations de supports déjà existants ») pour à la place se focaliser sur les adaptations de trucs qui marchent bien, ou sur des thèmes « à la mode. » Les 3 ou 4 isekai ou les 3 ou 4 comédies romantiques présentes à chaque saison, par exemple, elles seront sans doute toujours là dans un monde avec moins de séries produites – c’est des projets « prudents », souvent, ou tu sais ce que t’investis et ce que tu récupères à la fin. En gros on aurait peut-être moins de séries comme Wonder Egg Priority ou Odd Taxi.

Projets prudents ne voulant pas dire inintéressants, évidemment. Demon Slayer, par exemple, était un projet « prudent » – adaptation d’un manga du Jump, shonen de combat, gros potentiel mainstream. Ça n’en fait pas moins un très bon animé.

Après, que ce nombre brut de projets produits en simultané soit problématique à l’heure actuelle, c’est aussi une réalité auquel on ne peut se soustraire. D’autant que si on retourne la perspective, certes je vois dans cette grande production une énorme profusion d’œuvres différentes qui coexistent et peuvent parler à des publics extrêmement larges mais cette quantité immense rend aussi cette offre… illisible. Comment quelqu’un qui est en quête, par exemple, d’une excellente œuvre parlant sérieusement et sincèrement de gymnastique peut-il être mis au courant que Bakuten existe quand cette série est noyée, cachée parmi cinquante autre séries au sein du même trimestre ? Si vous êtes un peu passionné, ok, vous savez où trouver ce genre d’information, mais si ce n’est pas le cas il y’a de fortes chances que cette information vous passe complétement à côté.

On peut se plaindre de la manière dont les animés peuvent encore être perçus par le grand public, avec les clichés un peu obsolètes qui continuent à être propagés dans l’imaginaire collectif, mais en même temps la profondeur et la variété du médium est quand même difficile à percevoir… même pour les initiés. Combien à gueuler « y’a plus que des isekai de nos jours » quand les animés isekai ne représentent jamais plus de 5% du contenu produit lors d’une saison ? C’est une exagération, du coup, mais une exagération qui témoigne un peu du fait que la profondeur de ce média est quelque chose qui reste difficile à visualiser. Du coup si même nous les connaisseurs on galère à suivre tous les trucs intéressants, comment est-ce que le grand public pourrait s’y retrouver ?

Moi après si les isekai ramènent des goth gf moi ça me va (Re:Zero 2)

Et ok, on peut se dire aussi que l’animation japonaise a aussi toujours fonctionné sur cette certaine culture de la dèche. Historiquement, déjà en 1963, Osamu Tezuka lui-même avait à peu tout conçu la production de la première série animée sur ce double concept de « pas cher et rapide à produire. » Pour illustrer ça il avait vendu les épisodes à prix cassés auprès des chaînes en négociant par contre la totalité des droits sur le merchandising. Dès lors l’animation japonaise a toujours fonctionné sur cet étrange système où il devait être le moins onéreux à produire, et où il ferait son benef plus sur les a côtés que sur l’oeuvre en elle-même. Un état d’esprit malin en son temps mais qui devient compliqué à justifier quand le milieu tout entier génère désormais des cargos de thune tout autour du monde. Mais est-ce que les travailleurs au sein de cette industrie en ont bénéficiés ? Non, parce qu’on continue à produire comme si c’était toujours une industrie en dèche, qui attend de ses travailleurs un sacrifice constant, en les sous-payant, en les faisant travailler avec la passion de cet art comme seul moteur concret. Travailleurs interchangeables, peu respectés, condamnés à produire et produire, et sourire à l’idée de faire partie d’un monde où, au moins, ils ne seraient pas les seuls à galérer. Et c’est dommage car, encore une fois, des exemples comme Ghibli ou Kyoto Animation ont prouvés qu’il était possible de sortir de ce système, respecter ses travailleurs, les salarier, leur donner un rythme de vie normal… tout en continuant non seulement à être productif mais même constamment à monter en qualité.

En somme si on nous dit « non mais ces conditions de travail sont nécessaires au sein des studios pour que l’animation japonaise continue à exister parce que c’est toujours comme ça que ça a fonctionné », bah on a juste qu’à pointer du doigt KyoAni pour comprendre que, ouais, non, un autre standard est définitivement possible et viable. Même mieux: cet autre standard ferait vraisemblablement monter l’industrie vers le haut.

Ah oui y’a aussi Keep Your Hands Off Eizouken pour comment on fait des animés.

Donc je suis toujours très embêté sur cette question de « y’a t-il trop d’animés » parce que, au final, cette large quantité de productions en parallèle me paraît être un faux problème. Dans les conditions actuelles on pourrait baisser le nombre d’animés produits, ça ne résoudrait pas vraiment les soucis majeurs – on continuerait à constater des conditions de travail détestables dans une grande partie des productions parce que désormais pas mal de studios sont à flux tendu, habitués à cela, et tellement dans l’impossibilité (voire la non-envie) de revoir leurs fonctionnements qu’on continuerait à avoir des ribambelles de freelancers qui se succèdent pour se faire hacher menu pour 20h de travail par jour à 1€50 la frame dessinée. On continuerait sans doute toujours d’avoir cet état d’esprit regrettable qui consiste à presser comme des citrons tous les nouveaux venus pour « tester » qui aura la force de tenir dans cette carrière. La majorité des studios seront toujours basés à Tokyo, exigeant des animateurs de venir vivre dans une des mégalopoles les plus chères du globe. Bref y’a plein de petits trucs qui me font penser de manière plutôt pessimistes…

En vrai, je reste qu’un amateur et un blogueur, et de surcroit je suis français donc j’ai mon point de vue occidental sur une situation japonaise qui est éloignée de moi par au moins deux océans, donc je n’ai pas forcément d’idées incroyables de comment l’industrie peut se sortir de l’impasse dans laquelle elle s’est elle même enfermée. Je ne suis plus suffisamment naïf ou idéaliste pour croire que soudainement la redistribution des richesses au sein de cette industrie va se faire de manière permettant à la plupart des studios de trouver un fonctionnement plus sain pour à peu près tout le monde. Y’avait une période où je m’attendais à ce qu’un jour ça péterai mais aujourd’hui ça me paraît improbable: l’industrie est devenue trop grosse pour s’écraser, et si y’a pas assez d’animateurs ou de staff survivants alors certains projets seront maintenus mais tout simplement sacrifiés. Ce sera un enfer pour les quelques malchanceux coincés dessus, mais ça sortira quand même, comme si de rien n’était. Comme c’est déjà le cas aujourd’hui sur certains projets. Car faut quand même se rappeler que, aux yeux d’encore pas mal de producteurs et décideurs, la qualité concrète d’une série animée est presque accessoire, au final.

C’est le cafard

Du coup ouais je sais pas si on peut faire grand chose, à notre échelle. Je pense que le plus important c’est qu’on reste tous conscients de comment tout cela se déroule, et qu’on montre tous et toutes une réelle gratitude à ceux qui travaillent au sein de cette industrie et qui subissent la situation. Cela veut dire célébrer leur travail, soutenir toutes mesures ou idées qui pourraient améliorer leurs situations, comprendre que si parfois on a un truc médiocre ou mal fini sous les yeux c’est aussi parce que c’était pas possible de faire mieux dans un tel contexte, essayer d’être curieux et de s’informer sur comment les choses se font. Bref, comprendre ce qui amène une frame à être loupée, un cut à être saccadé, un épisode à être cicatrisé de partout. Comprendre que les animateurs, les intervallistes, les storyboarders, les animateurs clés, les coloristes, les directeurs artistiques, les réals ou les scripts sont les premiers à vouloir faire de l’excellent boulot et à se détester quand un truc est loupé. Ils sont peu les gens dans ce genre d’industrie à bâcler volontairement les choses. Personne n’est là « juste » que pour toucher le chèque vu à quel point, ici, le chèque est ridicule.

D’autant que, souvent, ils restent des exécutants. Ils contrôlent pas le processus de A à Z ! Parfois c’est les producteurs qui forcent des décisions qui n’ont aucun sens – pour prendre un exemple récent ça ne sert à rien de chier sur l’équipe derrière La Voie du Tablier par exemple qui a du se forcer à respecter une consigne d’animation volontairement minimaliste venant d’un producteur qui a déjà expliqué à plusieurs reprises pas trop aimer l’animation. Et puis parfois le projet explose son planning et est obligé de se finir dans la douleur parce que toute cette industrie repose sur des deadlines serrées. C’est infernal.

Double V d’honneur (Macross Delta)

En gros, avant de chier gratuitement sur un animé, avant de mentionner un animateur sur Twitter et de l’insulter comme un gros bâtard (car ça c’est la mode maintenant manifestement) parce que un cut de cette adaptation de votre manga favori était pas assez bien pour vous, avant de vous moquer d’un truc qui a explicitement explosé en vol, faut essayer de rester cool et de faire de son mieux pour comprendre. C’est aussi à nous autres les créateurs divers et variés, chacun à notre échelle, qu’on touche 100 personnes via un blog ou 200 000 personnes via une vidéo Youtube, à faire en sorte de pas trop propager les mauvaises idées reçues, de bien comprendre vers qui pointer nos doigts si un truc se passe mal. Bannir le « lol les animateurs » quand un projet se passe mal, bannir les « wow gg le budget » quand au contraire les équipes font un super taf (car, spoiler, toutes les séries sont sur des budgets plus ou moins similaires donc si un animé est bon c’est rarement grâce à l’argent magique mais souvent grâce à un travail collectif qu’on doit à des individus) , essayer de nous informer sur comment marche ce milieu et essayer au mieux d’aider les autres à comprendre comment ça marche.

Car là je donne des leçons mais des conneries j’en ai dites, des mauvaises idées reçues j’en ai propagées, je me suis moqué d’animateurs donc je jette pas non plus totalement la pierre à ceux qui le font. Ça se trouve quand je relirais cet article dans cinq ans, après en avoir appris encore plus sur le fonctionnement de l’industrie, je verrais que y’a quelques trucs faux que j’ai pu dire. C’est difficile d’être juste, et on apprend en permanence ! Juste écrire ce billet me donne le sentiment d’alterner les évidences avec les énormités parce que ça me permet de me rendre compte à quel point y’a encore des points d’ombre pour moi sur le fonctionnement de cette industrie ! Et ça me rend fou !

(Ah, et mon discours ne veut pas dire qu’on a pas le droit de critiquer des animés, loin de là, faut juste essayer de comprendre que ce produit fini, et bah il reste souvent le produit d’un contexte qui peut expliquer régulièrement des ratages. Bon après, évidemment, si l’histoire initiale est pas ouf, ça reste un autre sujet…)

En gros restez cool et coeur avec les doigts. (Hunter X Hunter)

Pour conclure, tout ce que je dis ici, pensez pas forcément que ça ne s’applique qu’à l’animation japonaise spécifiquement. Beaucoup de métiers liés au divertissement de masse subissent tous les mêmes contraintes, et que ce soitle manga, la bande dessinée, le jeu vidéo, la musique, le cinéma ou les arts vivants, ça reste des milieux qui laissent régulièrement leurs travailleurs dans une certaine précarité. Précarité d’autant moins explicable que le monde n’a jamais autant consommé et payé pour du divertissement de nos jours.

En outre je ne veux pas vraiment faire de passéisme: des animés produits à l’arrache totale y’en avait aussi beaucoup dans les années 80, 90, 2000. Époques où je suis à peu près certain que les conditions de travail n’étaient pas bien meilleures qu’aujourd’hui – il suffit de voir ce que Isao Takahata a vécu sur la production de Horus pour se dire que ça restait très rock n’roll dès les années 60. Disons juste qu’on en est aujourd’hui beaucoup plus conscient, et c’est finalement ça qui change.

Voilà du coup pour ce long article fleuve, c’est un billet d’opinion, je suis un peu parti dans tous les sens, j’ai l’impression d’en avoir trop dit et pas assez, c’est un peu fouilli mais bon, voilà, y’a beaucoup de pensées qui s’entrechoquent, qui se contredisent parce que je suis un peu perdu sur la question que je pose en titre de cet article. Et en parlant de ça, du coup est-ce que je peux vous apporter une réponse définitive à cette question ? Bah… je suis normand, je vous le rappelle…. donc…. ptet.

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4 commentaires

  • Gump

    Pour qui voudrait faire ses propres graps et stat, vous pouvez utiliser mes scripts https://github.com/Gumpy-Q/MALscrapy. wink

    Sinon la sensation de boulémie animesque se renforce d’autant plus en cette période où leur place dans nos loisirs a grandi (le monde du dehors d’avant snuff).
    Je me pose toujours la question de : comment est-ce que nos plateformes de diffusion ferait face à un changement du paradigme comité de prod et quel pourrait être leur rôle dans ce changement ?

  • Natth

    Un article très intéressant à lire, qui présente bien le problème sans s’arrêter aux apparences. A le lire, j’ai l’impression qu’il faudrait une modification du cadre légal pour que les choses puissent enfin évoluer. Je doute que cela puisse se produire à court terme, ou même à long terme… Effectivement, la situation risque de stagner un long moment.
    Cette année, j’ai l’impression d’avoir regardé autant d’animes en 6 mois qu’en un an comparé à d’habitude. Comme tu dis, je suppose que c’est lié aux reports de 2020. Je me revois encore mater le planning de Nautiljon en me disant « ah tiens c’est bien ça, et ça aussi, et ça c’est pas mal, oh tiens une suite que j’attends depuis des années… ». Pourtant, je n’ai pas l’impression de me forcer à regarder des animes. Ça m’arrive de laisser une série de côté quelques semaines et de rattraper 3 ou 4 épisodes d’un coup en regrettant que le suivant ne soit pas dispo. Mais je trouve que ça se calme cet été (relativement, je n’ai noté q’une douzaine de séries pour l’instant).

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