Mangas & Animes

Pour les otakus, c’est la fin d’une époque (nous dit Magical Destroyers)

Ce printemps, nombreux sont ceux qui pour l’instant sont passés à coté de la série Magical Destroyers et… je comprends parfaitement. Dans une saison avec des Oshi no Ko, des Demon Slayer, des Skip and Loafer ou des Tengoku Daimakyou, difficile de vraiment exister, surtout quand tu es une série aussi bordélique ! Racontant l’histoire d’un héros otaku et de trois magical girls qui vont l’assister pour libérer le Japon moderne d’une dictature qui traque, réprime, enferme et exécute les otakus de tous poils, Magical Destroyers est une sorte de grand foutoir général qui semble plus déterminé à invoquer l’esprit des animés Gainax un peu sales des années 2000 qu’à évoquer quoi que ce soit capable de parler à un public plus contemporain. D’où une certaine frilosité et incompréhension du public « jeune » à comprendre c’est quoi l’interêt de ce machin.

Ce qui tombe peut-être bien, car Magical Destroyers semble clairement destiné… à ceux qui étaient déjà là dans les années 2000. Et je fais même pas d’inclusif avec du « ceux et celles » – très clairement, vu le ton de la série jusqu’ici, c’est que les ceux qui sont visés. Si elle est donc une ode d’amour à l’état d’esprit otaku masculin de la fin des années 2000, la série semble cependant vouloir passer un message bien plus clair, bien plus simple: c’était ptet cool cette époque, mais c’est surtout du passé.

Nos vaillants héros

Car c’est vrai qu’être « otaku » en 2023 c’est aussi se confronter à une certaine crise d’identité pour peu qu’on soit dans le milieu depuis au moins une bonne dizaine d’années. Pour quelqu’un comme moi qui a commencé à être passionné d’animés à une période où ceux-ci étaient particulièrement difficiles d’accès, il peut m’arriver de ne plus très bien comprendre ou être très en phase avec les problématiques actuelles ou les remarques des nouvelles générations. En 2009, je rêvais d’un monde où l’animation japonaise était mainstream et où j’aurais pu parler d’animés avec n’importe qui de mon âge, en 2023 c’est difficile de ne pas croiser quelqu’un qui aie au moins mon âge et qui ne connaisse pas Demon Slayer ou l’Attaque des Titans. Des séries animées connaissent aujourd’hui un niveau de popularité et de culte qu’en 2009 je ne voyais que pour des séries télévisées américaines !

Et oui, avant que vous ne me le disiez, bien sûr que ce ne sont pas tous les animés qui deviennent soudainement mainstream et populaires, mais la popularité d’une industrie se note surtout de par la vitesse de leurs locomotives et, honnêtement, avec des titres comme Demon Slayer ou Spy x Family, clairement on a quitté les locos à charbons pour aller du côté des TGV.

En bon féru de séquences de transformation, je peux dire que celles de la série sont OK. J’aime bien celle de Anarchy et celle de Pink. Celle de Blue par contre, meh.

Bref, notre passion a changée, elle n’est plus aussi obscure, incomprise et cachée qu’avant. On a gagné, les animés sont redevenus cools et y’a même plus la moindre opposition culturelle ou politique qui peut venir ternir le tableau. Les animés et les mangas, c’est désormais partie intégrante du mainstream.

Satisfaction ? Un peu. Mais je ne nierais pas que parfois j’ai cette pensée perfide, clairement nulle, qui vient des tréfonds les plus vils de mon arrière-pensée, et qui se dit que… c’était quand même sympa cette période où les animés et les mangas c’était… ce petit truc à nous.

C’est peut-être, aussi, le danger d’avoir construit son identité autour d’une passion qu’on visualisait comme nichée: quand cette passion n’est plus si obscure que ça, alors disparaît cette différence nette et claire qu’on pensait avoir par rapport aux autres. Et de part la disparition de cette différence, on perd ce sentiment d’individualité qu’on s’était construit – avec du scotch et un ciseau sur une base un peu précaire, certes, mais qu’on s’était construit quand même.

Oups ?

OTAKU s’inflige des dégats !

Tout Magical Destroyers se base donc sur le retour à un Japon qui veut la mort pure et simplement des otakus, accusés de salir la société japonaise et de la rendre disgracieuse, encore plus imparfaite. Une oppression très exagérée mais qui était un peu la manière dont, si j’en crois les bribes de culture 2ch que j’ai pu observer à l’époque, les otakus de 2005 se voyaient par rapport à la société japonaise « réelle. » Ils étaient les creeps, les weirdos, ils ne savaient pas what the hell they were doing here, ils n’appartenaient pas à cette société, bref vous avez la ref. C’était à la fois une analyse teintée d’auto-dépréciation et une prophétie auto-réalisatrice: en se dépeignant comme les parias de la société et en apprenant à tirer une vraie fierté de ce statut via l’aspect collectif, ils ne faisaient du coup plus vraiment d’efforts pour justement intégrer la « normalité. » Les cultures visuelles devenaient donc un vrai refuge, un vrai monde parallèle pour ces nombreuses personnes qui, pour une raison ou une autre, peinaient à s’intégrer au « monde réel. »

Je parle de la société japonaise dans le paragraphe précédent mais les otakus « français » de cette période ne sont pas bien différents ! Je me suis réfugié et j’ai commencé à m’investir beaucoup dans les animés, les mangas, l’écriture de ce blog et les salons quand justement j’avais perdu pied avec le reste de la société. Est-ce que je le regrette ? Absolument pas – c’est même ce qui m’a sauvé. C’est pour ça que je tire encore parfois une certaine nostalgie de beaucoup d’instants que j’ai vécu à cette période – mes premiers salons, mes premières nuits karaokés, mes premières animations sur scène, les nuits sur IRC, les pavés excessifs sur les forums… Mais attention cependant: apprendre à se développer et à grandir au sein d’une communauté mine de rien plus ou moins consciemment basée sur le dégout des autres et de soi-même a aussi amené des mauvais réflexes et des mauvaises pensées qu’il a fallu apprendre à détruire pendant pas mal d’années dernière.

Regardez le le nul, il a une maquette du Yamato

Bref, malgré cette oppression, Magical Destroyers, dépeint globalement le monde des otakus « résistants » comme un monde de joyeux passionnés un peu débiles. Chaque personnage à SA passion attirée qui va lui servir littéralement de nom (« Otaku-des-Trains » est vous vous en doutez, l’otaku des trains), comme si cette passion composait littéralement l’intégralité de l’identité de cette personne. Mais cela reste des passionnés communicatifs, toujours prêts à parler aux autres de ce qu’ils aiment et à les écouter en retour.

Mais c’est un monde de joie, de bonheur et de simplicité que le monde réel veut détruire, et qui va exiger qu’on résiste pour le sauvegarder ! Et là dessus, la série utilise clairement le second degré à balle, ce qui désamorce toute forme de message maladroit. Non la série ne part dans un délire ultra-nostalgique à gueuler « pas touche à la culture otaku, à notre moe et notre saucisson », mais fait preuve de plus… de souplesse que ça.

Mad respect pour le mec qui étend ses daki au soleil, c’est mauvais pour la sauvegarde des couleurs

Sur plein d’aspects la série est clairement un hommage aux animés des années 2000. J’y retrouve une forme d’humour crado-lourdingue qu’on trouvait uniquement à cette période, cet humour mi-japonais mi-South Park – série qui avait été un succès de ouf au Japon à l’époque. Je pense aussi évidemment beaucoup à Panty & Stocking – ne serait-ce que parce que la principale magical girl s’appelle Anarchy, ce qui est clairement pas innocent – mais globalement tout Hiroyuki Imaishi semble être une large inspiration – les délires à la Dead Leaves ou à la FLCL sont pas très loin. Même en terme d’animation et de mise en scène des quelques bastons, j’ai parfois l’impression de retourner en arrière, avec des épisodes qui passent leur temps à changer de style visuel et à faire preuve d’une très grande irrégularité… comme pas mal d’animés de cette période. Les défauts semblent venir de 2008, ce qui est très étrange, mais assez cohérent. Genre le rythme vraiment pas très bon des épisodes ? Ouais typique de pas mal d’animés comiques de cette période, désolé de vous le réapprendre.

Par contre, la série garde quand même une certaine dose de… modernité. A commencer par sa tendance à pas mal expérimenter: les séquences de combat et de haute animation sont souvent l’occasion pour des animateurs de pas mal se lâcher malgré des contraintes qu’on sent très présentes. Ca n’a pas peur d’être « brut » et mal dessiné, qu’importe tant que ça bouge le plus possible. Mais les vraies expérimentations elles sont surtout au niveau des génériques, à commencer par l’opening qui est lui… super ancré dans 2023.

En terme d’idées, de mise en scène, de montage, de style musical utilisé et de pétage de cable, on est là devant un animé qui a pas peur de montrer immédiatement qu’il est là pour se barrer en couilles et partir dans tous les sens. C’est très intriguant même si un peu mensonger – ça appose sur la série une caution artistique… qu’on ne retrouve pas vraiment dans les cinq épisodes diffusés jusqu’ici.

Mais quelque part, c’est un générique qui aide aussi à faire le lien avec le présent ! Un générique d’animation japonaise peut-il être quelque chose à portée artistique, une proposition ? Bah c’est le constat moderne que ce clip d’une minute trente pose, et très clairement il est pas là pour essayer de vous vendre une chanson ou un single à la fin. Il est là pour être… expérimental.

(Note: la série a une mascotte qui est là pour servir souvent de caution morale, genre elle passe son temps à juger les persos et à commenter les blagues perverses/trashy en mode « non mais c’est trop trashy stop » comme si elle était un censeur lambda. Souvent la dite mascotte meurt dans d’horribles souffrances quelques secondes après. Hasard, coïncidence, habile commentaire social ? Je ne sais pas…)

Après voilà la série reste encore maintenant, après cinq épisodes, toujours très emmêlé dans son univers absurde et ses idées bordéliques et pas toujours bien maîtrisées. Mon interprétation est qu’il raconte une version très romancée et volontairement très exagérée – au point d’être purement et simplement parodique – de la « guerre culturelle » que les otakus de l’époque se pensaient être les victimes face au « grand public » et au « système médiatique. » C’est en parodiant cet état d’esprit de l’époque que la série veut aussi transmettre l’idée que oui, les idéaux otakus de l’époque sont du passé et qu’il faut évoluer.

Y’a tout l’épisode 4 qui est presque explicite sur cette idée – aussi explicite et clair que peut l’être la narration dans cette série, bien sûr. Dans cet épisode on nous raconte la rivalité entre les « vieux otakus » et les « jeunes otakus. » Les deux sont menacés par le même oppresseur mais les vieux refusent absolument de faire équipe avec les jeunes, tout simplement parce qu’ils les détestent: les vieux ont passées des années voire des décennies à galérer, à construire leur passion, leurs espaces et leurs outils dans un monde qu’ils estimaient extrêmement hostiles envers eux. C’est « eux » qui ont tous construits et tous développés, et ils ont vu arriver cette jeune génération d’otaku qui eux n’ont jamais connu leurs difficultés: ils avaient déjà toutes les plus belles boutiques à Akihabara, ils n’ont jamais été vraiment victime d’une forme de mépris de la part de la société japonaise (jusqu’à l’arrivée de la police anti-otaku) au point même d’avoir pu commencer à se proclamer être « otaku » avec fierté et avec positivité, y compris auprès des gens « normaux. » Cette jeune génération n’a non seulement jamais « galéré » mais en plus elle ose ne pas vraiment reconnaître les efforts et les sacrifices de la génération précédente, qui ont eux tous construits !

Sachant que ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’un animé/manga parle de cette différence de traitement entre deux générations d’otakus – Genshiken le faisait déjà !

Dans la première partie, le club du Genshiken – collectif d’otakus regroupés au sein d’un campus japonais – vit pas mal en marge du reste de l’université et en tire même parfois une certaine fierté – comme en témoigne souvent le perso de Madarame qui s’auto-proclame otaku dégueulasse et fier de l’être. Mais dans la seconde partie, Nidaime, le paradigme avait déjà changé: être otaku n’était plus une honte auprès du reste de la société, et le club changeait considérablement de dynamisme, avec des membres beaucoup plus épanouis et des activités beaucoup plus large. Bon bah là Magical Destroyer, le temps de ce quatrième épisode, redit un peu tout ça, mais y amène une conclusion heureuse puisque évidemment, à la fin, les vieux et les jeunes se serrent la main grâce à leur amour commun pour Mazinger Z et apprennent à se comprendre – les vieux ont le besoin de reconnaissance qu’ils exigeaient, et les jeunes ont le droit d’être enfin écoutés et pris au sérieux. A la fin, l’échange et l’écoute l’emporte, c’est beau.

(Mais très idéaliste car hélas les incompréhensions entre générations jamais dans la vraie vie ça se résout, surtout en 2023😭.)

En somme, vous l’aurez compris: Magical Destroyer c’est le foutoir, c’est pas clair, mais j’ai l’impression qu’il me parle de la fin d’une ère, la fin d’une époque. Il me rappelle qu’on est plus en 2007, que le monde a changé. Cela ne veut pas dire qu’on ne doit plus avoir la même passion ou qu’on doit passer à autre chose – justement, non au contraire. C’est nous qui devons changer et nous qui devons aussi accepter que en 2023 on ne retrouvera jamais le monde otaku de 2008, celui-ci étant depuis longtemps parti et il ne sert à rien de s’y accrocher. Ce n’est pas une bonne nouvelle, ce n’est pas une mauvaise nouvelle: c’est un fait, inéluctable. A nous de vivre aussi avec notre temps, de rester attentif, de renouveler ses raisons d’aimer ce qu’on aime et essayer au maximum de rester dans un rapport d’échange, d’écoute.

On peut être frustré et laisser parler ce sentiment un peu égoïste que oui, ayé, cette passion obscure qui était « la nôtre » est aujourd’hui devenue mainstream. Etre fan de manga et d’animé ne fait plus de nous, de vous, un Pokémon Shiney et ne vous sort plus vraiment du lot, contrairement à ce que c’était en 2008 ou en 2012. Je peux comprendre que certains voient la popularité des animés & mangas être presque comme une dépossession d’une part de leur identité, mais malgré tout ça me paraît être une pensée à rejeter. Il faut au contraire embrasser cette vague de popularité, et y voir l’occasion de briller, d’échanger, d’être didactique et pédagogique, de partager vos connaissances et votre culture. Ne pas s’enfermer dans une posture de gardien du temple ou d’agressivité envers les nouveaux venus qui oseraient ne pas connaître tous les animés du monde après quelques mois. Ça c’est un comportement qui trahit un manque de confiance de soi de ouf, en plus d’une peur claire de l’autre. L’expérience et la connaissance ne brillent que quand il y’a de l’ouverture d’esprit chez celui qui en possède. Les gens aiment les animés et les mangas, et je peux vous garantir que ca veut dire qu’ils n’attendent désormais qu’une chose: que quelqu’un vienne leur parler d’animés et de mangas de manière cool et assurée. Et ce quelqu’un, ça peut être vous.

Donc voilà, merci Magical Destroyers. T’es un animé que je recommande pas forcément pour cette saison, t’es tellement ancré années 2000 que comme tous les animés des années 2000 tu vas sans doute avoir une fin vraiment pas ouf, je trouve que ton humour tourne méga en rond mais j’apprécie tes quelques idées et ce que tu me dis sur les otakus de l’époque me fait un peu réflechir, surtout dans une période où j’ai moi aussi l’impression qu’en France on est arrivé aussi à la fin d’un cycle, d’une ère. Comme sentiment, c’est déjà pas mal en vrai, et c’est un rappel nécessaire que les projets originaux, aussi imparfaits peuvent-ils être, amènent quand même une énergie différente sur la table de cette industrie. J’aime bien la tentative, c’est ce qui compte.

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